De BUDAPEST à BELGRADE à bicycle, en compagnie de Thomas STEVENS, correspondant du magazine illustré « Outing ». ___________________________________ (Traduction par GEMINI, entièrement revue par moi...) Écrit par Igali SVETOZAR, représentant du « Cyclist's Touring Club ». Budapest Imprimerie de la société anonyme Pallas 1885 NOTE DU TRADUCTEUR : - les notes entre crochets [[ ]] sont de moi... ! - le terme bicycle fait référence au grand-bi (qu'à l'époque on appelait bicycle, dans les pays anglo-saxons et en France) ; le terme machine était également employé par les anglo-saxons. Svetozar emploie aussi parfois les termes vélocipède et vélocipédiste. - L'auteur (igali Svetozar) dit, selon, de Stevens : l'Anglais, ou le Yankee ; Stevens est Anglais, mais à l'époque il vivait aux Etats-Unis. N.B : j'ai respecté le style du texte original, à la fois récit informel et notes de voyage, éphéméride ; j'ai également respecté l'usage des guillemets fait par l'auteur. # Table des matières : - Nous attendons « l'Anglais ». Rencontre à la rédaction d'« Hercule ». - Thomas Stevens. Départ. Adony. Duna-Pentele. - Paks-Szegszárd. - Duna-Szekcső. Eszék. - Vers Eszék ! - Belgrade. Tableau de l'itinéraire : Date (juin) Lieu de départ Déjeuner Nuitée 8 Budapest Adony Duna-Pentele 9 Duna-Pentele Paks Szegszárd 10 Szegszárd Duna-Szekcső 11 Duna-Szekcső Keskend Eszék 12 Il pleut toute la journée. Restons à Eszék. 13 Eszék Vukovár Sárengrád 14 Sárengrád Cserevitz Pétervárad 15 Pétervárad India Batainitza 16 Batainitza Zimony Nombre de kilomètres Temps de conduite (heures) 70 5 79 5 ½ 31 2 ¼ 82 6 ½ 0 74 7 ¾ 58 5 Fruska-Gora 60 5 14 1 Remarques : Bonne route Mauvaise route entre Tolna et Szegszárd Stevens est mon invité Vent favorable 0 Il n'y a pas de route entre Eszék et Trpinje. Nous avons marché. -- Rupture d'une pièce de la machine Arrivée * Total : 468 km Le trajet de 468 km entre Budapest et Belgrade a été parcouru en 38 heures de conduite. Le temps de repos n'est pas inclus dans le temps de conduite. ******** ******** ******** ******** ******** ******** - Igali SVETOZAR - : Fils de I. Szávó, un propriétaire terrien aisée, Igali Svetozar est né le 13 avril 1859 à Somberek (Hongrie) ; il a suivi les classes III et IV de l'école de Pécs, la classe VII à Timișoara, et la classe VIII à Oradea, où il a également passé son examen final. À partir de 1878, il étudia à l’Université polytechnique de Budapest ; mais après avoir montré un grand intérêt pour la carrière agricole, il s’inscrivit à l'Académie agricole de Magyar-Óvárott et obtint un diplôme en agriculture à la fin de l'année 1881. Par la suite, il travailla pendant deux ans comme assistant agricole dans la propriété de la famille Bésán à Dunaszekcső. Afin d'élargir ses connaissances spécialisées, il se rendit à Montpellier (France) en 1883-84, pour suivre les cours de l'école nationale d'agriculture, de réputation mondiale grâce à ses succès dans la lutte contre le phylloxéra ; les domaines de compétence particuliers de cette école sont alors : l’agriculture, l’horticulture, la viticulture et la sériciculture. En 1884, il rentra en Hongrie à bicycle et occupa un poste d’agent agricole dans les propriétés du comte Stubenberg à Székelyhíd, puis sur les terres du comte Mailáth à Dolni Mikoljáczi (Slavonie). En 1891, il est collaborateur du journal Gazdasági lapok [Journal économique] fondé par László Korizmics et en devient rédacteur en chef le 1er juin 1892. En 1894, il fonde avec Vilmos Ordódy et Lajos le Szőlőszeti és Borászati Lapok [Journal des Vignobles et Vins], qu'ils ferment l'année suivante. Le 15 mars 1895, il fonde et devient rédacteur en chef de la revue spécialisée A Kert [Le Jardin], sous la direction de Mauthner Ödön. Il est également un cycliste renommé et consul du Cyclist’s Touring Club. Il écrivit des articles économiques pour le journal M. Föld [La Terre] dirigé par László Dapsy (dans les années 1880), des articles sportifs pour le Herkules de Kálmán Porzsolt et le Veloce-Sport français ; en parallèle, il gère la rubrique agricole du Fővárosi lapok [Journal de la Capitale], écrit des chroniques pour Egyetértés et M. Hirlap, ainsi que des articles spécialisés pour le Köztelek, le Gazdák Lapja [Journal des Agriculteurs] et le Borászati Lapok [Journal des Vins]. Source : https://www.arcanum.com/hu/online-kiadvanyok/Lexikonok-magyar-irok-elete-es-munkai-szinnyei-jozsef-7891B/i-8B63B/igali-svetozar-8B657/ Il émigra aux Etats-Unis pour y pratiquer l'agriculture. Il décéda en 1922, à Oakland. ******** ******** ******** ******** ******** ******** C'est par un après-midi de mai 1885 que j'ai appris la nouvelle du voyage de Stevens. Nous étions en réunion ; Mlle Calypso tenait dans ses mains un exemplaire du journal « Függetlenség » [Indépendance] et semblait le lire attentivement. Après l'avoir lu, elle me le tendit pour que je le lise aussi. Dans la rubrique des « divers », il y avait ce passage : « Autour du monde à Bicycle » ; le court article racontait que Thomas Stevens était parti de San Francisco à telle date, était arrivé à Boston à telle date, avait hiverné à New York, était parti de Liverpool et était maintenant en chemin... il viendrait aussi à Budapest, et de là continuerait son voyage autour du monde. « Un canard [[blague]] américain », dis-je en posant le journal. « C'est impossible. » Mlle Calypso était d'avis qu'« il n'y a rien d'impossible pour un Yankee ». « Bien », dis-je, « s'il vient en Hongrie, j'accompagnerai ce phénomène jusqu'à la frontière du pays. » Je veux le voir parcourir quelques centaines de kilomètres en machine, sinon je ne croirai jamais qu'il y ait eu un homme assez téméraire pour envisager de gravir l'Himalaya et la Grande Muraille de Chine à bicycle. Il est venu ; je l'ai accompagné. Et aujourd'hui, je suis convaincu que j'ai accompagné un homme, une sorte d'Atalante, qui si les bêtes féroces, les Bédouins ou les Chinois ne l’envoient pas dans l'autre monde, chaque association de vélocipèdistes de l'univers le respectera, et sera prête à commander son buste pour décorer son local. # Nous attendons « l'Anglais ». Rencontre à la rédaction d'« Hercule ». Thomas Stevens. Départ. Adony. Duna-Pentele. Au début du mois de juin, je suis monté à Pest. Petits et grands du pays désiraient ardemment voir l'exposition [[Exposition Internationale, genre Exposition Universelle, qui se tenait à Pest en cette année 1885]]. Cette maladie à la mode m'a également atteint. A chaque rencontre avec un vélocipédiste, une seule question était à l’ordre du jour : « Où est l'Américain ? » L'un voulait savoir s'il était déjà arrivé à Vienne et s’il y faisait réparer sa machine. L'autre le contredisait, naturellement, « car s'il était à Vienne, les Viennois nous en auraient déjà informés ! » Il y en avait qui poussaient le scepticisme si loin qu'ils déclaraient que la venue de « l'Américain » n'était qu'un simple « bobard » pour les faibles d'esprit, se précipitaient chez Pohl et n'accordaient aucune attention à l'« embrouille ». « Télégraphions à Vienne ! », avons-nous décidé, en nous dirigeant vers le « Magyar dalcsarnok [vraisemblablement une taverne ou similaire] » de Solymosy après le dîner avec le « Moustachu ». Nous avons convenu que nous enverrions un télégramme à Hildebrandt le lendemain, il saurait quelque chose sur l'affaire, et nous ferions ce qui se devait en dissipant le doute dans l'esprit de tant de gens. Nous avons passé une soirée très agréable au « Dalcsarnok », il y avait du bon vin, de la bonne compagnie. Les charmes démoniaques de la femme d'Ira Paine nous ont finalement entraînés dans une agréable « virée » au lieu d'un retour paisible et d'une nuit de sommeil. Aux premières lueurs du jour, au chant du coq, alors que de retour nous longions la route d'Üllői, nous ne nous sommes plus rappelés le télégramme. Le « Moustachu » ne voulait que faire du bicycle, j'étais fatigué, j'ai déclaré que je voulais dormir. Nous nous sommes séparés. Le lendemain, dimanche vers 11 heures, je voulais parler à l'un des membres des « sept » [[?? vraisemblablement la direction ou la rédaction du journal "Herkule"]], alors je me suis précipité à la rédaction d'« Herkule » [[Herkules était un magazine sportif hongrois du XIXe siècle, axé sur la gymnastique. Il couvrait la période de démocratisation du sport en Hongrie, où des activités autrefois réservées aux classes supérieures sont devenues plus accessibles. Le magazine offrait un aperçu de cette transformation, notamment par des articles sur l'expansion des clubs et l'évolution du paysage social du sport - Source : ChatGPT]]. Dans la salle de rédaction, j'ai vu un groupe de personnes, tous des vélocipédistes. Parmi eux, Kosztovits et le baron Braunecker, qui parlaient anglais avec un homme en uniforme [[Thomas Stevens était vêtu de bleu marine et coiffé d'un casque colonial britannique blanc]] et prenaient des notes. On me présente à l'étranger, c'était Thomas Stevens ! Je demande s'il sait parler français. « Non », répondit M. Kosztovits, « il ne parle qu'anglais. » Je voulais faire une sortie à bicycle cet été et je voulais de toute façon l'accompagner. Cinq minutes à peine s'étaient écoulées, que nous avons décidé que je l'accompagnerais de Budapest à Belgrade et nous avons fixé l'heure du départ au lundi, 8 juin, à six heures du matin. Stevens semblait avoir 30 ans [[Igali Svetozar avait 26 ans à ce moment ; Stevens avait en effet 30 ans]] et ses épaules extraordinairement larges témoignaient d'une grande force physique. Ses cheveux et sa moustache étaient blonds, son visage et ses mains rivalisaient avec la noirceur d'un gitan, le soleil de juin les avait bien brûlés. Il portait une chemise de laine et par-dessus une lourde veste bleu foncé. Il répondait aux questions qui lui étaient posées d'un ton mesuré et le plus brièvement possible. Nous avons bu de la slivovica [[eau-de-vie de prune traditionnelle en Europe de l'Est et du Sud-Est]], écoutant avec curiosité M. Kosztovits qui faisait office d'interprète. J'ai demandé quelques détails sur son voyage, finalement midi arriva, et chacun se leva pour aller déjeuner. Nous nous sommes séparés pour nous retrouver à 17 heures au « pavillon oriental » [[de l'exposition]]. J'ai passé tout l'après-midi à préparer le voyage. Lorsque je suis arrivé à l'heure et à l'endroit convenus, la compagnie était déjà là. Stevens, avec son visage bronzé et sa casquette de soie noire, anglaise, sans visière [je suppose qu'il s'agit de la classique casquette plate anglaise, dont certains modèles sont faits en partie de soie], a immédiatement attiré l'attention du public. En fait, la nouvelle qu'il était le fameux « Anglais » s'est répandue comme une traînée de poudre sur le site de l'exposition. Nous lui avons demandé son avis sur celle-ci. Il en a sincèrement fait l'éloge. Il a observé attentivement les articles en cuir. Que pense-t-il des dames de Pest, demandaient les uns ou les autres ? « À Paris et à Pest », répondait-il, « il y a de belles femmes ». En continuant notre cheminement, j'ai constaté plus tard qu'il s'intéressait au beau sexe, dans la mesure où les règles de la bienséance le permettaient ! Il regardait à droite et à gauche en arpentant le site de l'exposition. Kosztovits lui demanda s'il cherchait quelque chose ? Il expliqua qu'il aimerait acheter de la soie pour en faire une tente. « Pourquoi ? », demanda Kosztovits. Stevens raconta ici une de ses aventures en Hongrie. Les Viennois l'avaient gentiment accompagné jusqu'à la frontière austro-hongroise. Là, ils lui montrèrent le terrain en disant « ça, c'est la Hongrie ! » et qu'ils ne l'accompagneraient pas plus loin. Stevens poursuivit la route seul et entra en Hongrie. Il arriva à Neszmély, où il devait passer la nuit. Le tenancier de l'auberge, à qui il s'adressa pour avoir une chambre, naturellement ne parlait pas anglais, et Stevens ne pouvait pas définir le concept de chambre en hongrois. La fin de l'histoire fut simplement qu'il s'installa dans une étable et dormit du sommeil du juste dans une mangeoire jusqu'au matin. Maintenant qu'il est arrivé à Pest, le confort de l'« Hôtel National » l'a peut-être un peu surpris, alors, prévoyant l'avenir et pour ne plus avoir à dormir dans une mangeoire, il a demandé de la soie pour s'en faire une tente. On dort mieux dans une tente. Kosztovits l'a assuré qu'il n'en aurait pas besoin en territoire hongrois, cela ne ferait qu'alourdir ses bagages déjà lourds (il transportait 20 livres [[environ 10 kilos]]). L'Anglais n'a même pas poussé un soupir de soulagement. Pourtant, il aurait dû ! Après un savoureux dîner, vers 21h30, nous avons jeté un coup d'œil au pavillon des champagnes et aux jolies serveuses de Littke [[producteur de vins mousseux réputés à Pécs, Hongrie. Lőrinc Littke, tailleur polonais réfugié en Hongrie après la Révolution polonaise, fonda la première fabrique de champagne de Hongrie à Pécs en 1859, aujourd'hui connue sous le nom de Pannonia Champagne Factory. Elle est également connue sous le nom de Littke Pezsgőház]], où, tout en appréciant le vin pétillant hongrois, nous avons porté de nombreux toasts ; nous nous sommes mutuellement porté les toasts et avons attentivement surveillé « l'Anglais » : « Tiendrait-t-il le coup ? » En chemin vers Pentele, certains d'entre nous ont eu l'occasion de constater qu'il tenait très bien le coup. Le site de l'exposition était plongé dans un silence de mort lorsque nous sommes rentrés pour nous coucher. Nous avons accompagné Stevens à son hôtel. Nous y avons vu son bicycle sous l'escalier, un lourd « Columbia » de Boston [[ville ou fut fondée la marque Columbia et d'où elle dirigeait ses opérations]] de 50 pouces (1,30 m, diamètre de la roue avant), de construction solide, avec des roulements à billes partout et nickelé. Il avait réparti ses bagages sur 3 parties de la machine ; sur le guidon était fixé une lourde boîte en cuir, il est vrai que cela facilitait le pédalage, car le centre de gravité de la charge était à peu près sur la même ligne que l'axe de la grande roue, cela aurait aussi pu provoquer une chute ! Mais Stevens avait confiance en son habileté à pédaler ! Sa main noircie par le soleil le prouve, car il ne portait pas de gants lors de ce tour du monde à bicycle ! Sous la selle, était fixé le chiffon avec lequel il époussetait sa machine et dans lequel étaient enveloppés les petites clés françaises et les outils les plus nécessaires. Il y en avait trois. À l'arrière, au milieu du cadre, étaient fixés ses sous-vêtements en laine, emballés dans son imperméable. Nous nous sommes cordialement dit au revoir après cette brève inspection, pour que chacun soit devant le « Kis Kommer » à 5h45 du matin - bonne nuit ! Le lendemain matin, lundi, à 5h45, nous étions 14 à l'endroit convenu. Kosztovits et « l'Anglais » manquaient à l'appel ! Pour ne pas perdre de temps, nous avons commencé à prendre notre petit-déjeuner ; en buvant mon lait froid, je me suis rendu compte que le champagne de Littke avait grandement dérangé mon estomac. La chose est d'autant plus agaçante qu'une tête et un estomac sains sont un requis lorsqu'on roule à bicycle. Je n'ai révélé mon secret à personne. Vers 6h30, Stevens est arrivé en compagnie de Kosztovits. Ce dernier a fait la remarque que mon futur compagnon de voyage aimait beaucoup les fruits et qu'il parcourait nos routes à une moyenne de 70-80 kilomètres par jour. Nous avons traversé ensemble le Danube par groupes de quatre sur des embarcations à hélice. Il était déjà sept heures à notre arrivée. En face du bureau de douane, nous sommes montés sur nos machines. Un léger vent du nord nous a facilité le pédalage. Nous étions en trois groupes pour accompagner notre Anglais. Le premier et le plus nombreux groupe, 12 personnes, l'a accompagné jusqu'à Promontor. Le deuxième groupe de trois membres, à savoir : Rossi Nándor, Filipovits Emil, Ehrlich János, l'a accompagné jusqu'à Pentele. Quant à moi, je devais l'accompagner jusqu'à Belgrade. Dans le premier groupe, M. Mohacsek roulait sur sa machine « Kangaroo » [[Modèle de grand-bi créé en 1884, par Hillman, Herbert, et Cooper, avec un système de pédalier à démultiplication, qui permettait d'avoir une roue avant beaucoup moins haute - 91 cm - qu'un grand-bi classique]]. L'image de la machine glissant comme un petit serpent était inhabituelle. J'ai remarqué qu'il pouvait suivre de près les machines normales sur la route poussiéreuse et à ornières de Buda-Promontor. M. Mohacsek a également prouvé, une fois qu'il roulait devant moi, qu'il était impossible de tomber de ce type de machine (lorsqu'il a heurté un poteau). La petite roue de la machine de M. Székely était quant à elle en mauvais état. Le cortège était ouvert par l'Anglais, avec un beau pédalage à vitesse constante, et je le fermais. À Promontor, après le cours d'eau, nous avons fait nos adieux au premier groupe. Kosztovits a une fois de plus attiré notre attention sur le rythme du voyage, et nous nous sommes séparés. Nous n'étions plus que cinq. Rossi a pris la tête et a avancé à une vitesse de 16-17 km par heure. La chaleur du soleil de juin commençait à devenir insupportable. Nous étions quatre à être en chemise, Stevens ne montrait pas la moindre envie d'enlever sa veste d'hiver. Il ne l'a pas enlevée de tout notre voyage, même si dans le Fruska-Gora il faisait une telle chaleur que l'acier de nos machines menaçait de fondre. [[la Fruska-Gora est un massif montagneux, qui culmine à 539 mètres ; ses pentes constituent une zone viticole réputée]] Nous avons traversé Tétény, puis la voie de chemin de fer de la ligne Pécs-Buda, pour laisser plus tard sur notre gauche une petite auberge d'un seul étage. Nous approchions maintenant de l'Eldorado des vélocipédistes hongrois, l'excellente route Tétény-Tolna. À partir de la petite maison d'un seul étage mentionnée, la route tourne à gauche et trace directement vers le sud, elle n'est plus empierrée, mais recouverte de gravier jaune du lit du Danube. Cette route est lisse, dure, de sorte que les deux roues ne s'y enfoncent pas, et il n'y a pas d'ornières. M. Rossi lui-même a avoué qu'il ne connaissait pas cette excellente route jusqu'à présent, bien qu'il ait parcouru toutes les autres routes menant à la capitale ! Qu'il ait tellement aimé cette route est prouvé par le fait que le lendemain, il l'a empruntée pour rentrer ! Nous nous sommes donc engagés sur l'excellente route, j'ai ralenti un peu le rythme, la fête de la soirée au pavillon Littke et la chaleur m'y ont forcé. J'ai confié à Rossi la tâche d'examiner la façon de pédaler de l'Anglais. Notre petit groupe a monté à bicycle chaque colline entre Ercsi et Tétény, les traces de sueur sur les hommes en chemise indiquaient clairement l'effort fourni ; quant à Stevens seul son front était un peu humide. Diable, cet Anglais a du « sang-froid », avons-nous pensé, lorsque nous nous sommes assis sous le porche de la grande auberge d'Ercsi - où nous sommes arrivés un peu après dix heures - pour avaler du vin, de l'eau gazeuse et du lait froid. C'est alors que j'ai remarqué que Stevens était réticent à l'égard de notre pain brun fait maison. Il a demandé du « Milchbrot » [[pain au lait]], nous avons mis le panier de petits pains et de croissants devant lui, il en a mangé quelques uns, c'était donc ça le « Milchbrot ». Après un quart d'heure nous avons quitté Ercsi, nous sommes montés en selle devant l'auberge et avons pris la route qui se dirigeait vers le sud. Bientôt, Ercsi nous laissions derrière nous. La route Adony-Ercsi sert également de digue contre les inondations du Danube. Sur la gauche, à quelques mètres seulement, s'étend le ruban bleu foncé du Danube, à droite il y a des champs fertiles de blé et de maïs. La route, ou plutôt la digue, est haute de 2-3 mètres, elle se dirige directement vers le sud, elle est lisse et de consistance ferme ! Oh, ces 15-16 km de route, quelle piste de course ! Roulant sur nos machines, aucun de nous n'en a parlé, mais sans aucun doute chacun d'entre l'a pensé ! Nous sommes arrivés à Adony après 11 heures. Stevens a enlevé sa sonnette qu'il avait conservée jusqu'à présent et l'a donnée à la foule de garçons sur la route. La sonnette était un « grelot » de forme sphérique, le son en était particulier, mais faible. Pourquoi s'en est-il débarrassé justement ici ? La question est restée sans réponse pour moi. Nous avions prévu de continuer le voyage depuis Adony à 15 heures, nous aurions eu assez de temps pour prendre un bain dans le Danube que j'ai tant vanté ; comme mes compagnons ne montraient pas beaucoup d'enthousiasme, j'y ai renoncé aussi. Je suis passé voir Sándor Kováts pour saluer cet ardent pratiquant de notre sport. Je l'ai trouvé dans son bureau, et j'ai appris avec beaucoup de regret qu'Oszoly était à Pest pour voir l'exposition. Après le déjeuner, nous avons fait la sieste dans la chambre de Kováts. Dès que Stevens est entré dans la chambre, il a regardé autour de lui, et en jetant un coup d'œil au ratelier, il a remarqué les 4 rames d'une yole appuyées contre le mur, il a dit « Sport ! »... Ensuite, il a attrapé une paire de gants d'escrime ; nous autres le regardions avec étonnement : veut-il peut-être s'escrimer ? Mais non, il invite la compagnie à une partie de boxe ! En riant, nous lui avons expliqué qu'il s'agissait de gants d'escrime. Sans un mot, il les a posés, s'est assis et est resté ainsi, comme il en avait l'habitude, silencieux, comme une statue. J'ai oublié de mentionner qu'après le déjeuner, nous sommes restés quelques instants à siroter nos vins à l'eau gazeuse. Stevens n'avait pas le temps de rester assis sans rien faire, il s'est immédiatement levé, a sorti de sa boîte en cuir fixée sur le guidon de son bicycle un nécessaire à écrire complet et a rédigé. Il décrivait la route Buda-Adony pour le magazine illustré « Outing ». Nous avons respecté son travail, nous autres sommes allés chez Kováts, et il nous a rejoints seulement après avoir terminé sa tâche. Rossi a sorti sa montre, y a jeté un coup d'œil et a dit : « Trois heures », nous avons répondu « Allons-y ». Cinq minutes plus tard, nous étions déjà en dehors des murs d'Adony, après avoir cordialement dit au revoir à Kováts. La route Adony-Pentele est, à mon avis, la meilleure partie de cet excellent itinéraire. Elle est certes vallonnée par endroits, mais avec un peu de bonne volonté, toutes les collines peuvent être franchies en machine. L'essentiel est qu'elle se dirige constamment vers le sud. Nous avions 20 km de cette route. Au rythme le plus lent, nous pouvions les parcourir en une heure et quart. Nous roulions par une chaleur de 30º C, et il était impossible de faire enlever sa veste d'hiver à Stevens. Il nous a assuré qu'il l'enlèverait quand il aurait « chaud ». Jusqu'à présent et sur les itinéraires suivants, nous avons admiré chez lui son perspicace instinct pour choisir les bonnes routes, les chemins de traverse, les sentiers qu'il appelait « promenades ». Il est vrai que sa machine était moins haute (50"), il était donc moins affecté par ces facheuses branches basses. Il était à peine quatre heures que nous étions déjà arrivés à Pentele. Nous nous sommes installés à l'auberge de monsieur Lábady. C'est un endroit hautement recommandable : une excellente cuisine hongroise, une hospitalité hongroise chaleureuse et des prix modérés y attendent le vélocipédiste voyageur. Je peux le recommander de tout cœur ; c'est, depuis Pest, un excellent but de promenade pour l'ami du bicycle. Apès 70 km de route [[distance entre Pest et Pentele]], Lábady sait pourvoir de manière charmante à compenser l'énergie perdue par l'effort déployé sur le parcours. Un local fermé séparé a été prévu pour le rangement de nos machines. Nous avons d'abord cherché les rafraîchissements bien mérités. Une des tables d'angle du café-casino de Pentele s'est bientôt courbée sous le poids de la quantité de café, de vin, d'eau minérale et de lait froid qui nous était servie. Nous avons dévoré et les mets ont bientôt disparu de l'horizon. J'ai insisté pour un bain dans le Danube ; finalement notre petite caravane est partie se baigner. Nous avons ramé jusqu'à l'île située entre la station de Szalk et Pentele pour y prendre cette baignade tant désirée et dont nous parlions depuis le matin. Finalement, nous y étions. Nous avons retiré nos vêtements avec une promptitude inimaginable, et pendant que le courageux braque de M. Lábady s'efforçait à attraper des grenouilles, Philipovits débitait de magnifiques melons. Autant que nous le pouvions dans les limites de la discrétion, nous avons également épié Stevens se déshabillant. Il a enfin tombé la lourde veste d'hiver bleu foncé ! Je me souviens que l'un de nous avait juré en chemin qu'il dormirait aussi avec ! La veste a été suivie par une épaisse chemise en vraie laine de couleur poussière. J'ai beaucoup lu et on a encore plus écrit sur les bienfaits des sous-vêtements en laine. En ce qui me concerne, le voyage Budapest-Belgrade m'a parfaitement convaincu que les sous-vêtements d'un vélocipédiste ne peuvent être qu'en laine. Je jure que si le cycliste vêtu de soie, tricot, mousseline ou flanelle ne contracte pas de maladie pulmonaire ou une maladie similaire, c'est seulement grâce à sa chance, il ne le doit qu'à une propre constitution avantageuse. Je ne veux pas parler ici d'évidences, de la façon dont la soie, le lin, la mousseline, etc., une fois humidifiés par la sueur, donnent une sensation de froid à la surface de la peau, dès que le corps s'immobilise. Ce sont des choses que les chasseurs ont déjà racontées mille fois. Et les non-chasseurs doivent admettre que les « lainistes » ont raison. Je dis seulement que j'ai eu très honte de la chose, lorsque, pendant notre voyage, dans les cours d'auberges où nous prenions nos rafraîchissements, Stevens s'est approché de moi, a pointé mon maillot avec l'index de sa main droite et a dit : « Nit guut » [Pas bon], puis, en attrapant le col de son maillot, il a montré : « Daas guut » [ça, bon]. Mon maillot était humide, je sentais le froid, j'ai donné raison à Stevens, oh combien ! Mais revenons à notre bain. Après qu'il a enlevé son pantalon, un pantalon de sous-vêtement en laine de couleur jaune, qui arrivait en dessous des genoux, a fait son apparition. Enfin, nous étions dans les vagues fraîches jusqu'au cou. C'était très agréable. Pendant mon voyage, partout où je le pouvais, j'ai profité du plaisir des nymphes et des naïades. Stevens restait dans la « chambre de jour [[louée pour la journée]] » pour écrire. Car, disait-il, ça « mâtsch-a » (mouille). Après le bain, nous avons parcouru la petite île mentionnée. Notre petit groupe a été surpris par l'ingéniosité du Hongrois. Je vais la raconter en trois phrases. M. Lábady est un chasseur passionné, pour allier sa passion de nemrod à l'idée pratique de gagner de l'argent, il loue à bas prix pour la chasse la petite île appartenant à la « copropriété, » et y a créé un « faisanier ». Maintenant, il peut y chasser à sa guise, ses finances se portent toujours très bien, à l'automne il envoie quantité de gibier à ses vendeurs à Pest. C'est assez pratique ! Je vais cependant aussi vous raconter son problème : l'hiver dernier, le Danube a gelé, et un renard a traversé sur la glace... il est encore là. Lui aussi, c'est un chasseur ! Vers 8 heures, nous nous sommes assis pour dîner et, en l'honneur de la cuisinière, nous avons loué de la meilleure façon possible la nourriture qui nous était servie, en n'en laissant rien ! À peine avions-nous terminé notre dîner qu'un ami enthousiaste de la jeunesse, M. Ujváry, un propriétaire foncier, est entré. Il était impossible de refuser la visite de sa cave située à quelques pas seulement, d'une part parce que l'invitation était très chaleureuse, d'autre part parce que « ce n'est pas la mer à boire ». Nous avons emmené Stevens, pour qu'il voie une cave hongroise, et goûte au vin du pays. Il a vu ! il a été surpris par le pétillement des vins blancs et par le siller [[le siller est un type de vin typique de Hongrie, à mi-chemin entre le vin rosé et le rouge clair]], et il a bu ferme, comme deux Hongrois ! Cela a causé une joie infinie à notre chaleureux hôte. À en juger par ce début, Stevens aurait continué à s'amuser là-bas jusqu'au matin, et serait monté en selle à 5 heures, aussi frais que s'il n'avait pas participé à une dégustation en bonne et due forme de vin hongrois . Il était déjà 23 heures lorsque nous sommes rentrés dans nos chambres, dans une ambiance un peu bavarde. Ehrlich et Filipovits, qui ne sont pas restés avec nous et sont rentrés en bateau, se sont privés d'une soirée agréable. Vers minuit... nous ronflions. PAKS-SZEGSZÁRD Mardi 9 juillet, nous étions tous les trois debout à 4 heures du matin. Nous nous sommes habillés et avons graissé nos machines en quelques minutes. Ce n'est qu'en prenant notre petit-déjeuner de lait froid que nous avons commencé à penser à la tristesse de la séparation. M. Rossi devait en effet retourner à Pest sur sa machine. A cinq heures, nous sommes sortis de l'auberge par la porte située sur la colline ; après les poignées de main échangées, M. Rossi a pédalé vers le nord, nous deux vers le sud. À l'extrémité sud de Pentele, la route traverse une colline escarpée ; quelques minutes plus tard, nous sommes descendus de nos machines devant cette colline, pour les pousser. Au sommet, nous sommes remontés, et nous avons pédalé avec plaisir sur une très belle route de campagne. Stevens a pris de l'avance, de temps en temps il descendait de machine pour prendre des notes. Quand je l'ai rejoint, j'ai demandé : « Accident ? » - « Non », a-t-il répondu, « notes ! » Il m'a fait signe de la main qu'il allait repartir tout de suite. Et en effet, quelques minutes plus tard, j'ai entendu un air sifflé de plus en plus fort. Il m'a finalement rattrapé, sifflant sans cesse, et, maintenant une distance de quelques mètres devant moi, pédalait et sifflait. J'ai remarqué qu'il ne changeait jamais d'air ! Une fois, alors que nous mettions pied à terre avant une colline, je me suis renseigné sur l'origine de son air. Il m'a fait comprendre que c'était le « Yankee doodle ». Son intérêt s'étendait également à nos produits agricoles ; en montrant les champs de maïs, il a demandé si le maïs était la propriété d'un « Gentilhomme » ou d'un « Paysan » ? Il a noté selon la réponse qu'il a reçue. Les 20 kilomètres qui s'étendent entre Duna-Pentele et Duna-Földvár descendent continuellement vers Földvár. A mi chemin, la route s'enfonce dans une vallée profonde sur une distance d'environ 4 à 5 km. Ici, nous avons dévalé avec les pieds écartés [[les grands-bis n'ont pas de roue libre]], sans serrer les freins. Stevens, qui pédalait devant moi, m'avait habitué à ses mouvements de tête rythmiques. Maintenant, sa posture immobile et rigide me rappelait les statues en marbre des centaures. Les quelques kilomètres avant Földvár étaient mal empierrés et vallonnés. D'ailleurs, le trajet Budapest-Tolna a un mauvais pavage avant chaque ville, dans la ville elle-même et à la sortie de la ville! En dehors de la ville, c'est tellement excellent qu'on pourrait en écrire des odes. Juste avant Földvár, nous avons une mauvaise route et une circulation dense de charrettes. Stevens a remarqué qu'il ne pouvait pas rouler sur la route empierrée, alors il est entré dans le fossé pour y rouler ! En traversant les ville, je prenais la tête, d'une part pour éviter de nous perdre, d'autre part pour trouver plus facilement les auberges. À Földvár, j'ai demandé s'il voulait un rafraîchissement ? « Wil you trinken ? » - j'ai demandé. Sa réponse a été - « Yes ! » J'ai trouvé une auberge en un rien de temps, mais au lieu de s'asseoir, il a regardé dans la rue ; la foule colorée de paysans qui tenaient le marché l'amusait visiblement. Il s'est tourné vers moi et a dit : « Cerise ! » en montrant qu'il voulait manger des cerises. L'avertissement de Kosztovits qu'il aimait les fruits m'est revenu à l'esprit ; nous sommes allés voir une marchande et avons acheté des cerises pour quatre krajczár [[monnaie hongroise]]. Nous avons ensuite apporté notre marchandise sur la table de l'auberge et nous avons pris notre petit-déjeuner : lui des fruits, moi du lait froid. Un monsieur bien habillé s'approche de nous, se présente et s'informe de notre voyage. Je l'éclaire en quelques mots. Notre étranger, qui d'ailleurs semble être un gentleman aux manières irréprochables, raconte l'histoire de ses deux enfants décédés la semaine dernière d'une inflammation de la gorge. Il raconte à quel point ils étaient intelligents ; s'ils n'étaient pas morts, ils auraient aussi fait du bicycle, et finalement, la douleur amère du cœur paternel se manifesta par un torrent de larmes. Stevens, en silence, mais avec étonnement, regardait l'homme qui pleurait. Après notre petit-déjeuner, nous sommes partis. Au moment où nous laissions Földvár derrière nous, Stevens a « stoppé » (stopp ! arrête !) Il m'a demandé pourquoi l'étranger pleurait. Je ne le nie pas, un « bobard » infernal m'est venu à l'esprit. J'ai donc raconté ce « bobard » innocent à Stevens. J'ai dit, ou plutôt j'ai essayé de lui faire comprendre, que ce gentleman de Földvár avait entendu parler de son voyage ébouriffant, qu'il était convaincu que les Chinois ou les cannibales allaient le dépecer quelque part et que... il pleurait pour lui. Il n'a rien dit, son sérieux ne l'a pas quitté, il a semblé trouver très naturel qu'on le pleure ! Vers 8h30, nous étions devant le village de Kömlőd. Stevens stoppe ; je descends, je demande : quel est le problème ? Il me montre les mûriers qui bordaient la route : il a remarqué des garçons dessus qui cueillaient et entassaient les feuilles dans leurs tabliers. « Pourquoi font-ils cela ? » demanda-t-il. Faire un exposé à un anglais, sur l'élevage des vers à soie, par quelqu'un qui ne parle pas l'anglais est un peu difficile. Malgré cette difficulté, je m'y suis mis. J'ai montré ma chemise en soie et j'ai fait référence à sa fabrication. J'ai essayé de faire comprendre le ver à soie avec mes doigts et finalement, recourant aux gestes, j'ai montré que ce type de ver mangeait la feuille de mûrier. « Comprehens ? » (Comprenez-vous ?) j'ai demandé, une fois que j'ai eu fini. « Yes ! » a-t-il dit, et a immédiatement arraché une feuille de mûrier et a commencé à la mâcher. En chemin, dans une auberge, j'ai mis la main sur un crayon, du papier et j'ai dessiné le ver à soie, il a finalement parfaitement compris. Nous sommes arrivés à Paks avant 10 heures. Avant cette ville, nous avions eu une petite mésaventure. Un cheval détaché a eu peur de nous ; il a commencé à courir vers Paks, il ne pouvait pas s'écarter à droite à cause de la haute colline, et à gauche, il y avait le Danube juste à côté. À cause de cet animal furieux, nous n'avons pu remonter en selle que lorsque nous sommes arrivés en ville et que des meuniers ont attrapé le cheval. Dans l'auberge de Paks, nous avons rangé nos machines en lieu sûr. J'ai demandé ce qu'il voulait manger. « Fish ! » fut la réponse. Je commande au tenancier un paprika de poisson, préparé à la manière d'un vrai pêcheur. J'ai eu des craintes au début, au cas où Stevens ne mangerait pas la nourriture trop pimentée, mais il m'est venu à l'esprit qu'il allait même manger des vers en Chine ; je suis resté sur le paprika promis. Nous ne l'avons pas regretté. « Promenade ! » a dit Stevens, une fois que j'ai eu fini de commander le déjeuner. Partout où nous arrivions, cet Anglais infatigable désirait immédiatement explorer la ville à pied. Je l'ai conduit dans la rue principale de Paks, et une fois fait, je l'invite à venir « Baden » [se baigner], et je fais un grand geste dans l'air. Il ne voulait pas venir, il retournait, disait-il, à l'auberge pour terminer sa correspondance. Quand j'ai vu qu'il sortait ses dossiers, ses papiers, ses ustensiles d'écriture de la fameuse boîte en cuir et qu'il commençait à écrire, je l'ai laissé. J'ai montré sur ma montre l'heure à laquelle je reviendrais. Pendant mon bain, midi a sonné. Quand je suis revenu, Stevens écrivait toujours. Finalement, nous nous sommes assis devant notre paprika de poisson fumant. Si nous avions pêché 100 étrangers dans le monde et les avions assis devant ce paprika de poisson, s'ils en avaient mangé, les 100 auraient certainement fait des grimaces bizarres. Stevens a mangé la vraie bouillabaisse hongroise avec appétit. Il n'a pas bronché. En le voyant ainsi déguster, la question s'est posée en moi : et si cet homme était un Anglais de la région de Szeged ? [[Szeged, ville hongroise, est connue comme le foyer de la paprika, une épice fabriquée à partir de fruits de capsicum séchés et réduits en poudre ; elle est également célèbre pour le halászlé, une soupe de carpe et de poisson-chat.]] Nous sommes partis à trois heures de l'après-midi. Il faisait une chaleur tropicale. À l'ombre, le mercure du thermomètre était monté à 27º, ce dont je me suis assuré en passant devant la pharmacie de Paks. Un sérieux problème nous menaçait au départ, car nous avions mélangé une quantité effrayante d'eau minérale au vin que nous avions bu. La route de Paks à Tolna est toujours faite de gravier, mais elle n'est plus aussi bonne. Elle est poussiéreuse, avec des ornières, et meuble. À 4 heures, nous avons atteint le poteau du 133e km. Nous étions à Tolna. Adieu bonne route ! Pendant que nous buvions nos spritzers [[Un "spritzer" est une boisson rafraîchissante, généralement faite de vin blanc et d'eau gazeuse ou soda,]] au « Beau Hussard », j'ai dit à Stevens que la bonne route était finie, que de là à Belgrade, nous aurions une route caillouteuse et mal entretenue. Et c'est ce qui s'est passé ! Après dix minutes à l'auberge, nous sommes montés en selle, je l'ai guidé hors de Tolna, et une fois en dehors de la ville, mon Anglais a pris la tête. Nous devions être à 3-4 kilomètres de Tolna, et à peine avions-nous traversé les rails du chemin de fer Tolna-Szegszárd, que deux chevaux d'une charrette ont eu peur de Stevens. Le charretier transportait des tonneaux vides, environ huit. Alors que l'Anglais passait devant lui, le charretier a fait un bruit assourdissant, les chevaux ont galopé vers moi. Je venais 100 m plus loin, je me suis écarté aussi, mais la colère du charretier était si déchaînée que lorsqu'il est passé devant moi, il m'a donné un coup de fouet. Ça m'a touché la jambe. Mais comme je ne suis pas à Promontor [palace situé en Hongrie, à Budafok, commissioné par le prince François Eugène de Savoie], mais dans le comté de Tolna, je ne suis pas resté passif : je pose la machine au milieu de la route et je me précipite après la charrette. Je la rattrape. Je monte sur la charrette ; je cours sur les tonneaux et j'arrache le fouet des mains du paysan. Il saute de sa charrette, effrayé, mais pas si vite que je n'aie pu lui donner un coup de fouet sur le visage. J'ai regretté cet acte depuis, mais à ce moment-là, de nombreuses bêtises de méchants paysans m'étaient venues à l'esprit. Entre autres, celle d'un paysan avant Laibach. La revanche m'a rempli de joie. Mon Anglais m'avait bien laissé ; quand je l'ai rattrapé à pied, je l'ai trouvé au milieu de paysans qui protestaient, et quand je suis arrivé, la colère des paysans faucheurs qui chahutaient s'est tournée contre moi. Pendant ce temps, Stevens était monté en selle et avait repris la route ; je suis resté pour connaître la raison du chahut. La raison était à chercher dans l'état d'ébriété des paysans. J'ai suggéré à l'un d'eux de faire quelque chose de plus sage que cette agitation. Il se précipite vers moi avec sa faux levée avec colère, à ce moment-là, je braque mon revolver, le groupe de 6-7 personnes éclate en jurons effrayants : « Toi le vagabond, les gendarmes vont te montrer ; comment oses-tu porter un revolver ? ». L'un d'eux court à travers le champ de maïs vers la ville. Je les ai laissés là, et je n'ai pu rattraper mon Anglais qu'à la douane. Il a remarqué la crosse du revolver qui dépassait de ma poche et a montré derrière lui avec un haussement d'épaules méprisant : « paysans » ! a-t-il dit. Il était déjà six heures quand nous sommes descendus de machine devant la grande auberge de Szegszárd. Tout à coup, nous nous sommes retrouvés avec un groupe de vieux amis, il y avait Dávid Kovács, Lajos Nyitray, etc. Après avoir rangé nos machines, nous nous sommes assis à table. Si un touriste peut le faire, qu'il évite de dormir à Szegszárd, car le vin y est très bon, les filles sont très belles et la compagnie masculine est très chaleureuse et très insistante. Le vélocipédiste en voyage doit accomplir un effort herculéen pour parvenir à s'échapper le lendemain de cette Capoue moderne. Pendant le dîner, le sous-préfet est arrivé, qui a dit en riant qu'il était venu pour nous arrêter. Nous avons bien ri de la dénonciation des paysans malhonnêtes. Les habitants de Szegszárd nous ont parfaitement divertis ; permettez-moi d'exprimer ici aussi mes remerciements pour leur chaleur. Quelqu'un a signalé que la bande de gitans d'ici était restée longtemps en Amérique. Il n'en fallait pas plus ! Le premier violon a été immédiatement traîné devant nous ; parle-t-il anglais ? « Pas moi », a-t-il répondu, « mais je joue n'importe lequel de leurs airs avec la même justesse qu'un gitan yankee ! » À la demande de Stevens, il a commencé à jouer et d'abord le « Yankee doodle ». J'ai remarqué sur le visage de Stevens le signe indubitable de la joie. Il a applaudi avec enthousiasme les autres morceaux américains. À 22 heures, comme nous voulions nous lever à 4 heures du matin, nous sommes allés nous coucher. La joyeuse compagnie est restée avec la musique des gitans. Il aurait été impossible de dormir paisiblement dans cette grande auberge ; j'ai donc accepté l'offre de Nyitray et nous sommes allés dormir chez lui. Le matin à 4 heures, nous nous sommes levés reposés, et à 5 heures, nous roulions sur la route qui se dirigeait vers le sud, après avoir cordialement dit au revoir à Nyitray. DUNA-SZEKCSŐ. ESZÉK. Un bouvier traversait la banlieue sud de Szegszárd à l'heure où nous partions. Nous sommes donc descendus de nos machines et avons marché pour essayer de laisser le troupeau de bœufs derrière nous. Nous avons perdu environ un quart d'heure avec lui. Finalement, nous nous en sommes délivrés en dehors de la ville et nous sommes montés en selle. L'attention de mon compagnon de voyage s'est portée sur les collines de vignes qui s'étendaient sur la droite. Je lui ai fait remarquer que Szegszárd produit un excellent vin rouge, que cette chaîne de collines s'étend sur près de 55-60 km jusqu'à Mohács, et que nous l'aurions toujours sur notre droite jusque là-bas. Après une heure de pédalage, nous sommes arrivés à Várdomb, où nous nous sommes arrêtés pour le petit-déjeuner. Nous avons eu du lait froid et des œufs crus. Mon compagnon de voyage a demandé du « Milchbrot ». En vérité, il a fallu courir jusque chez un voisin pour avoir des petits pains. À l'occasion de ce petit-déjeuner, il a fait remarquer que les paysans souabes de Várdomb avaient dit de sa machine nickelée : « Das ist Silber » [c'est en argent]. Il avait compris, et à partir de ce moment-là, cela l'a fait réfléchir. Finalement, il a expliqué par gestes qu'une fois arrivé à Constantinople, il ferait peindre sa « Columbia » de la même couleur que mon « Invencible [[L'Invincible est un modèle de grand-bi de la marque Surrey Machinist Co]] », c'est-à-dire en noir. Je lui ai donné raison. Quelque part, on le tuerait parce qu'on croirait qu'il a une machine en argent. Nous avons quitté Várdomb. Une fois partis, nous avons rencontré des Tsiganes errants. Ils ont fait un bruit assourdissant en courant après nous. Stevens m'a demandé si je comprenais ce qu'ils disaient ? Je comprenais ; ils criaient en croate : « Goszpodár ima szrebrni tocsák, - a szlúga drveni » (le maître a une machine en argent, et le serviteur une machine en bois). Je lui ai dit qu'ils avaient aussi pris sa machine pour de l'argent. Il a haussé les épaules et a fermement confirmé qu'il la ferait peindre à Constantinople. Ce qui m'a agacé, c'est qu'ils m'ont pris pour le serviteur de l'Américain. D'ailleurs, nous avons roulé comme ça dans toute la Slavonie : à la campagne, Stevens roulait devant sur son cheval de feu, et là, on le considérait comme le « Goszpodár ». Mais à travers les villages et les villes, je prenais la tête, et là, on prenait Stevens pour le serviteur. Les paysans intelligents justifiaient cette affirmation : « Vois-tu », s'expliquaient-ils entre eux, « le maigre, c'est le maître, et celui-ci, c'est son serviteur, parce que c'est lui qui porte le paquet ! » Sur ma machine, il n'y avait que le « multum in parvo » [[L'expression latine "multum in parvo" se traduit en français par "beaucoup dans peu" ou "énormément de choses dans un petit espace".]] fixé sous la selle ; les Slavons n'y ont pas fait attention, comparé à l'énorme boîte en cuir de l'Américain. À Báttaszék, Stevens est descendu sur la place du marché, s'est acheté des cerises, s'est assis à l'ombre sur les marches d'une épicerie et a mangé. Je l'ai appelé pour qu'il vienne boire une bière. Il n'est pas venu. Alors j'y suis allé seul. Au moment du départ, il m'a dit qu'il avait entendu à plusieurs reprises les « paysans » parler de « silber rad » [bicycle d'argent]. Il a entonné le Yankee doodle, le casque blanc a de nouveau imité le balancier d'un pendule, et vers 9 heures, nous sommes arrivés à Duna-Szekcső. J'ai pédalé jusqu'à chez moi, en lui déclarant qu'il était mon invité pour la journée, chez moi. Avec son index, il a d'abord pointé vers moi, en disant : « you ! », puis avec le même geste, il a pointé vers le sol de la cour et a dit « domicile ? ». « Yes ! » dis-je. « All right ! » répondit-il. Une fois dans ma chambre, il m'a demandé s'il pouvait laver ses sous-vêtements. J'ai immédiatement pris les dispositions nécessaires. Il a enlevé ses affaires du bicycle, et c'est à ce moment-là que j'ai remarqué que l'inscription suivante était gravée sur le cadre de sa machine : « On this Expert Columbia Bicycle, Thomas Stevens is riding around the world, representing the « Illustrated Magazine « Outing » Boston. United States America. » [[« Sur ce bicycle Columbia Expert, Thomas Stevens fait le tour du monde, représentant l'illustre Magazine "Outing", de Boston, États-Unis d’Amérique. »]] C'est aussi à ce moment-là qu'il m'a expliqué qu'une fois arrivé à Constantinople, il percerait le cadre et la fourche, et qu'il y verserait de la palinka [La Pálinka est une eau-de-vie de fruits traditionnelle, principalement originaire de Hongrie et de Transylvanie. Elle est issue de la fermentation et de la distillation de fruits tels que les prunes, les poires, les abricots, les pêches, les pommes, les cerises, les baies et les coings] et de l'eau pour mieux affronter les déserts d'Asie. Le mercredi 10, en restant à Szekcső, nous avons eu le temps de discuter. Il m'a montré son outil de filtration de l'eau, un long tube en caoutchouc ; il a mis une matière ressemblant à du coton au bout inférieur, et en prenant le bout supérieur dans sa bouche, il a dit qu'il allait l'utiliser pour boire l'eau des marais. J'ai dessiné un scorpion pour lui, au cas où il s'y tromperait ! Il a ri. Son revolver était un chef-d'œuvre de l'armurerie américaine. Presque un « Bull dog », mais de 12 mm [[Le révolver de type Bulldog était un type de révolver compact de gros calibre produits par divers fabricants ; c'est bien un Bulldog que Stevens avait à ce moment ; à Constantinople, suite à une réparation mal faite à Vienne, il remplacera le Bulldog par un Smith & Wesson]]; il le portait à une ceinture autour de sa taille. Après avoir un peu nettoyé nos machines, nous sommes allés nous baigner. Après le bain, je lui ai montré les écoles et la pharmacie. Lors de la promenade dans le village, nous avons rencontré un groupe d'acrobates itinérants, le mollet de la comédienne en tenue de parade a gagné son approbation. Il a trouvé la tenue des paysannes du Baranya particulière. Leur jupe n'arrivait qu'aux genoux ; il a expliqué que les femmes anglaises étaient si vertueuses qu'elles étaient habillées du cou jusqu'aux talons. Je ne sais pas si le scandale du « Pall Mall Gazette » avait déjà atteint ses oreilles ! [[En 1885 à Londres, un scandale éclate : le journaliste W. T. Stead et ses collaborateurs révèlent dans la Pall Mal Gazette l'existence et les dessous de la prostitution enfantine où les élites victoriennes sont impliquées.]] Nous avons déjeuné en compagnie de femmes. Il a souvent sorti son Baedecker rouge en quatre langues, quand il voulait expliquer quelque chose ! Après le déjeuner, je me suis allongé pour dormir, il a voulu écrire. Je lui ai demandé de me réveiller quand il aurait fini sa correspondance. Quand je me suis réveillé, j'ai remarqué avec effroi qu'il avait terminé d'écrire, qu'il avait remis tous ses ustensiles d'écriture dans sa boite et qu'il était assis sur sa chaise comme une statue. J'ai attrapé ma montre ; il était 19 heures. J'étais agacé d'avoir ainsi, par accident, manqué à mon devoir d'hôte. J'ai demandé pourquoi il ne m'avait pas réveillé une fois qu'il avait fini d'écrire ? Il a répondu qu'il se reposait aussi. Au dîner, il a sifflé le « Yankee doodle » aux dames présentes ; il a regretté de ne pas pouvoir leur parler. À 21 heures, nous étions déjà au lit. Vers ESZÉK ! Le jeudi 11 juillet, à l'heure habituelle, à 5 heures donc, nous étions déjà en selle sur la route menant à Mohács ; la route était vallonnée et décidément mauvaise ! C'était et cela restera le pire itinéraire de notre voyage jusqu'à présent. Après 10 km de pédalage, mon compagnon de voyage a stoppé au pied d'une colline. Il a montré une colonne commémorative d'une hauteur de 5-6 mètres, faite de pierres de taille. C'était la colonne commémorative érigée en mémoire de la bataille de Mohács. Le tableau peint sur la colonne représente la mort de Louis II dans le ruisseau Cselle. Je lui ai fait signe que je lui expliquerais l'histoire de la colonne lors de notre petit-déjeuner. À 6h15, dans le local du casino de Mohács, tout en savourant du lait froid, j'ai essayé de lui donner l'explication historique. J'ai écrit la date de la catastrophe, le 29 août 1526, j'ai parlé du sombre Soliman et du malheureux roi hongrois Tomory, et enfin de la défaite totale de la Hongrie, et du fait que maintenant, malgré le long joug, il trouvait ici une patrie si prospère. « Comprehens ! », répondit-il d'un ton décidé, une fois que j'ai eu fini. Notre route de Szekcső à Mohács ne s'est pas dirigée vers le sud, mais directement vers l'ouest, car cette route de campagne suit le méandre du lit du Danube. Au moment où nous sommes montés en selle devant le casino de Mohács et que nous avons roulé vers le sud, le vent soufflant du nord a été un grand avantage pour nous. Je dois mentionner que nous avons été accueillis à Mohács par un ami enthousiaste du sport, mais seulement un ; c'était Péter Millich, avocat, rédacteur en chef du « Mohács és Vidéke » [[Mohács et sa région]]. Après avoir quitté Mohács, notre route, à l'exception de la pente qui y mène traverse une plaine. Stevens a eu amplement l'occasion de contempler les abondants champs de blé de la Hongrie, alors que nous menions bon train sur des kilomètres le long de la propriété de l'archiduc Albrecht, entretenue selon les normes actuelles de l'agriculture. Il a trouvé amusant que les paysans jettent leurs faux et leurs râteaux avec frénésie pour se précipiter au passage des cavaliers de fer. « Paysans ! », a-t-il dit en se tapant les genoux avec ses deux mains en riant. Ce geste les représentait en train de courir. Devant la ferme de Laki, la route se divise en deux, il n'y avait pas de panneau indicateur ou quelque chose de similaire ; il a fallu sortir des cartes et les consulter, finalement nous avons trouvé la bonne route : il fallait aller à gauche, c'est-à-dire tout droit. Nous sommes arrivés à Baranyavár. À partir de cette ville, notre route s'est sensiblement améliorée. Nous renseignant pour une « Wirthshaus » [[taverne]], nous en avons rapidement trouvé une. Nous avons demandé du vin blanc. Il était si bon que mon compagnon de voyage ne pouvait cacher son admiration. J'ai demandé d'où venait ce bon vin ? Des collines de Herczegszőllős, fut la réponse. Nous étions dans la rue, c'est là que nous avons bu notre vin ; la population du village a formé en quelques minutes une haie d'honneur autour de nous. Stevens avait les yeux pour tout voir. Ses yeux se sont d'abord posés sur les belles femmes et filles šokci [[population croate vivant le long du Danube et de la Save, dans les régions historiques de Slavonie, Baranya, Syrmie, ainsi que dans l'ouest de la Bačka]], puis il les a heureusement oubliées. Cet effet merveilleux était dû au négligé des femmes šokci qui dépassait l'imagination. Leur jupe, ou plutôt leur chemise, arrivait au-dessus des genoux, et des deux côtés, elle était fendue « à la Belle Hélène » [[La belle Hélène. opéra bouffe de 1864 de Jacques Offenbach]] jusqu'au milieu de la cuisse. Toutes ces belles choses étaient ensuite couvertes par un tablier fait maison. Il n'a rien dit sur ce costume populaire « spectaculaire », jusqu'à ce que nous soyons en dehors du village. Là, il est descendu de bicycle ; j'ai suivi son exemple et il m'a questionné ! « Quelle est la religion de ces femmes ? », a-t-il demandé. « Elles sont d'origine slave, appelées šokci, de religion catholique », ai-je répondu. Il a pris des notes, a fait des croquis, pendant ce temps, j'ai mangé des fraises ; quand il a eu fini, il est monté sur sa machine en secouant la tête, ruminant encore l'arrière-goût du spectacle. Nous avons atteint Monostor, et à la sortie, nous avons trouvé les dix kilomètres menant à Keskend fraîchement remblayés. Si j'y étais allé seul, je ne serais en aucun cas monté sur ma machine, par souci de la ménager ; finalement, mon compagnon de voyage n'est pas descendu, alors j'ai aussi roulé. Soudain, je remarque au milieu de la route que ma selle glisse, finalement, elle glisse complètement. Sur ma machine, il n'y avait pas de ressort « technique », mais une simple lame servant de ressort. C'est pourquoi elle a pu glisser. J'ai dû descendre pour ajuster la selle. Stevens a continué d'avancer - je ne lui ai rien dit de toute façon. Le retour de la selle à sa place d'origine m'a pris presque une demi-heure. Une fois que j'ai eu fini, je me suis dépêché, je n'ai pas vu Stevens, mais j'ai pu distinguer la trace de sa machine dans la poudreuse de 10 centimètres ; finalement je l'ai trouvé un kilomètre avant Keskend, en train de prendre des notes au pied d'un arbre. Nous avons traversé le pont en bois du canal d'Alberts et nous étions à Keskend (une rue et demie), à 10h30. Le tenancier de l'auberge du village, qui nous a accueillis, a voulu nous servir de la choucroute d'hier. J'ai protesté contre cette nourriture, et j'ai demandé à Stevens ce qu'il voulait manger. Il a dit quelque chose, mais je ne l'ai pas compris. Il a sorti son « quatre langues » rouge, et a montré un mot allemand, c'était « Hünchen » [poulet]. J'ai donc commandé notre déjeuner, j'ai loué une chambre de jour séparée pour que mon compagnon puisse travailler et j'ai vérifié les vis de ma machine. J'entends un bruit énorme dans la cuisine, je prête attention, et je comprends que : « mon Dieu, la tenancière n'est pas très enthousiaste à l'idée de cuisiner le déjeuner que j'ai commandé pour ce genre de « vagabonds » ; qu'ils mangent du pain et de la choucroute. » Elle remet en question d'une voix tonitruante si ce peuple de « Slájfer » [[plus ou moins le sens de prétentieux,arrogant, dans ce contexte]] a l'argent pour payer le repas commandé. Étant donné que son mécontentement aurait pu compromettre ce déjeuner, j'ai jugé nécessaire d'intervenir avec énergie. Cela a porté ses fruits. À 13 heures, nous pouvions nous asseoir devant des mets délicieux et fumant. Nous sommes partis à trois heures pile. Au moment de notre départ, j'ai à peine réussi à chasser un paysan ivre, qui insistait sans cesse sur le fait qu'il nous avait déjà vus à Eszék, qu'il avait même été dans notre baraque. Et que ce noir, c'était son compagnon, en montrant Stevens. Après une heure de pédalage, après avoir traversé les rails du chemin de fer Villány-Eszék, nous sommes arrivés à Dárda. Nous avons trouvé la brasserie en la suivant, pour ainsi dire, à l'odeur. Nous nous sommes fait expliquer la route : celle qui va à droite de la brasserie est plus courte, mais plus sablonneuse. Celle qui va à gauche mène à Belye, fait un détour de 7 km, mais la chaussée est ferme. Naturellement, nous avons choisi cette dernière. Une demi-heure plus tard, nous étions à Belye. Stevens a été amusé ici par des filles tsiganes qui vendaient des tringles pour des rideaux. Finalement, en partant de là, nous avons pris la route vers le sud-ouest en direction d'Eszék. En sortant de Belye, on voit déjà le château d'Eszék et les clochers des églises de la ville haute ; un quart d'heure plus tard, nous avons traversé le pont construit contre les crues de la Drave, et quelques minutes plus tard, nous étions sur le pont de la Drave. Nous nous sommes arrêtés au milieu de ce pont, j'ai pris la main de Stevens et j'ai fait signe de se tourner. Je lui ai fait comprendre qu'à ce moment-là, il se trouvait sur la ligne de la frontière hongroise. « Frontière von Hongary ! », lui ai-je dit. Nous avons enlevé nos casquettes, émus, et avons salué. Moi à la chère patrie, Stevens probablement au pays le plus hospitalier et le plus sportif qu'il ait trouvé et qu'il trouvera lors de son tour du monde. Oui, je peux le dire ; le trajet de Stevens de Budapest à Eszék, les 262 kilomètres parcourus, a été une agréable promenade, où ce phénomène du peuple anglais a pu se convaincre de la vitalité et des charmes des conditions de vie hongroises ; qu'il les compare aux conditions de vie d'autres peuples. Je pense que nous supportons la comparaison ! Il remarque de longs poteaux plantés sur le sol fertile des propriétés de Belye. J'explique la culture du houblon, la fabrication de la bière. Mais revenons au pont de la Drave, sous nous le fleuve Drave qui s'écoule rapidement, plus haut le nouveau pont de chemin de fer. Le lendemain, au moment où je raconte la catastrophe du pont en bois d'il y a deux ans, nous regardons également la colonne commémorative érigée sur l'esplanade en mémoire des hussards malheureux. Juste devant nous, on voit le fossé du château d'Eszék avec ses meurtrières et ses casemates, sur la droite, les rangées de maisons modernes de la ville haute. Quelques minutes plus tard, nous quittons le pont, nous sommes maintenant en Slavonie. Nous avons dû pousser nos machines à travers le château à cause du mauvais pavage. Dans la rue de la ville haute, nous sommes montés en selle, mais nous ne pouvions rouler que sur le trottoir ; la route des charrettes était d'une qualité incroyablement mauvaise. Nous sommes entrés directement dans le « Jägerhorn » [cor de chasseur ; c'est le nom de leur hôtel]. Après nous être installés tant bien que mal dans une chambre au premier étage, nous étions déjà, quelques minutes plus tard, dans la rue pour faire notre « promenade » habituelle dans la ville. J'ai appris que les rédacteurs en chef de « Die Drau » [la Drave] parlaient anglais, nous y sommes allés tout de suite. Il était déjà environ 18 heures, nous n'avons trouvé personne dans la rédaction, seulement le personnel de service. Après avoir laissé nos adresses, nous nous sommes promenés encore un peu et à 19h30, nous sommes allés dîner à notre hôtel. Nous étions à peine assis depuis quelques minutes que deux messieurs s'approchent de nous. Après les présentations mutuelles, nous avons appris que nous étions en face des deux rédacteurs en chef de « Drau ». M. Pfeiffer parlait anglais, M. Frank, lui ne comprenait pas cette langue, il m'a donc tenu compagnie. En dégustant nos rôtis, nous avons amusé les deux rédacteurs en chef avec les expériences du trajet Budapest-Eszék. Pendant ce temps, un troisième gentleman nous a rejoints, en la personne d'Alexis Freund, qui, étant membre du club de vélocipèdes de Bordeaux, s'est empressé de nous saluer pendant son passage ici. Nous l'avons accueilli chaleureusement, d'autant plus qu'il parlait un peu anglais. Notre petit groupe était assis dans le jardin de l'« Hôtel Jägerhorn ». Soudain, une rafale de vent plus violente et un puissant tonnerre ont signalé le début imminent de la guerre céleste. Quelques minutes plus tard, la pluie a commencé à tomber. J'ai demandé à Stevens s'il voulait voyager demain matin, si jamais il y avait de la boue ? Vraisemblablement, a-t-il répondu, mais seulement s'il ne pleut pas. À 22 heures, nous étions dans notre chambre, après avoir quitté nos connaissances d'Eszék en leur déclarant : s'il ne pleut pas, nous partons, s'il pleut, nous restons ! Avant de se coucher, Stevens a flatté la jolie femme de chambre avec un sérieux très anglais. Si elle apprend un jour cette indiscrétion que je commets maintenant... elle se souviendra certainement du ton avec lequel il a dit : « guut petite demoiselou ! » [[jolie petite demoiselle]] Je l'ai aidé à traduire cela, je ne sais pas si la demoiselle a trouvé notre façon de faire la cour étrange [[Dans le texte original, l'auteur emploie le terme "frajla" pour désigner la demoiselle ; c'est un mot d'argot hongrois ancien qui désigne une jeune femme ou une dame, souvent dans un registre informel ou un peu moqueur]]. Ce qui est certain, c'est que nous avons bien ri du pouvoir de séduction de la Hébé [déesse de le jeunesse dans l'antiquité grecque] d'Eszék après nos 82 kilomètres parcourus. Il n'était pas encore 4 heures, je me suis levé pour vérifier le temps : il pleuvait à verse ! Stevens a aussi regardé, il a vu que les routes étaient complètement détrempées, et je l'ai regardé en le questionnant. Il a calmement fermé la fenêtre, a tiré le rideau, a pointé du doigt le lit et a dit : « Slipen ! » [dormir] Je ne me suis pas fait prier, j'ai sauté plutôt que je ne me suis couché dans le lit et j'ai dormi jusqu'à 8 heures. Nous avons donc passé le vendredi 12 juillet à Eszék. Il a plu toute la journée. Nous étions justement en train de nous habiller lorsque M. Freund est entré et s'est proposé comme cicérone. Stevens n'a pas accepté, car il voulait passer toute la matinée à écrire, mais, disait-il, il serait heureux de pouvoir faire appel à ses services l'après-midi. Il est donc resté avec ses papiers, je suis parti en compagnie de Freund, en promettant de revenir à 11h30. Dans la rue, nous avons rencontré les rédacteurs en chef, j'ai demandé s'il y avait quelque chose à voir, par exemple un musée, ou quelque chose comme ça. Les habitants d'Eszék ont secoué la tête de manière négative. Que je regarde les remparts du château, et alors j'aurais tout vu à Eszék. Lors de notre promenade dans la rue, j'ai regardé par la fenêtre de quelques chambres meublées dans un pur style croate. Freund a eu la gentillesse d'acheter pour Stevens des photographies représentant des costumes populaires slavons. Il pleuvait - je m'ennuyais. J'avais hâte qu'il soit 11h30 - finalement, nous sommes montés chez Stevens, il venait juste de finir d'écrire. Nous avons accepté l'invitation de Freund. Nous sommes allés déjeuner chez lui. Nous avons passé tout l'après-midi à examiner le château d'Eszék en compagnie de Frank et Freund. Nous avons vu la chapelle, à côté de laquelle une pieuse femme a été assassinée en plein hiver, et les méchants ont jeté son corps dans les fossés du château. Nous avons également vu la pierre commémorative en marbre dédiée à la mémoire des 27 hussards qui se sont noyés dans la Drave. Louange à la ville d'Eszék pour cette piété. Nous avons été surpris de voir les routes de promenade si bien entretenues sur les remparts du château et les glacis. Nous avons vu la piscine militaire installée sur la Drave - où le capitaine, qui y était en service, a demandé au rédacteur en chef de « Drau » quand nous allions faire notre « démonstration ». Il l'a regardé avec étonnement. À quelques pas de la piscine, il y a une auberge en forme de kiosque, bien sûr, nous y sommes allés. Les « tamburás » accordaient leurs instruments, et quelques minutes plus tard, Stevens a pu entendre les mélodies de l'instrument des Slaves du Sud. Mais ils ne connaissaient pas le « Yankee doodle », donc il n'était pas aussi heureux qu'à Szegszárd. Nous avons vu un tas de curiosités d'Eszék : la maison de tir, etc... et en revenant dans la Ville Haute, la synagogue. C'était vendredi soir, la communauté juive se rassemblait bruyamment pour célébrer le Shabbat. Nous sommes entrés aussi. Stevens, en homme respectueux, a enlevé son grand casque blanc, une dizaine de personnes se sont précipitées vers lui, qui l'ont forcé à le remettre sur sa tête. Je raconterai plus tard la scène de l'église à Batainitza. Qu'il ait aimé les chants de la synagogue ou non, je ne sais pas. Je ne peux pas m'empêcher de raconter l'histoire du tricycliste d'Eszék. Cette anectode s'étend bien en amont, et notre connaissance remonte à une époque antérieure. Stevens l'a vu pour la première fois ce jour-là. C'est par un jour boueux de l'hiver dernier que j'ai appris qu'un vélocipédiste était arrivé à Duna-Szekcső, sur trois roues. La curiosité m'a poussé à aller à la grande auberge. J'ai vu sa machine dans la cour, c'était une pièce de forge des plus rudimentaires. Une incroyable sacoche en cuir formait la selle, qui était attachée au véhicule à essieu en bois à l'aide de cordes et de chaînes. J'étais curieux de voir l'homme qui était capable de se déplacer sur un tel véhicule ; je suis entré dans le bar, un homme à l'apparence de vagabond, de stature herculéenne, était assis devant son bol de lentilles et mangeait. Je lui ai parlé dans une langue puis dans une autre, il m'a fait savoir qu'il était muet, complétant avec des mimiques qu'il était cordonnier et qu'il venait de très, très loin, et qu'il allait là où les gens avaient la tête couverte d'un turban et un autre type de monnaie. J'ai demandé s'il avait un document écrit ? Il n'en avait pas. La gendarmerie locale a eu vent de cela, l'a attrapé, l'a fouillé et il s'est avéré qu'il voyageait de manière tout à fait légale. Ils ont trouvé environ 180 pengő cachés sur lui. Mais ils n'ont rien pu prouver contre lui ; le bureau du sous-préfet l'a également laissé libre. Il est ensuite parti vers le pays des enturbanés ! Eh bien, c'était ce tricycliste d'Eszék, que le rédacteur en chef de « Drau » a voulu nous présenter et nous a fait rencontrer. Pour six florins, il a enlevé ses lourds bagages de cordonnier devant le « Jägerhorn », est monté sur son tricycle de bois et de fer et de clous, et a fait des tours. Il a brinquebalé, comme le vélo d'un paysan du sud de la France [[signalons que Igali Svetozar a vécu un an en France, de 1883 à 1884 où il a suivi les cours de l'école nationale d'agriculture, à Montpellier]]. Mais il a finalement roulé. Selon M. Frank, il parcourt les villages situés dans un rayon de 20 km autour d'Eszék, répare les chaussures en lambeaux, et revient. La machine serait de sa propre fabrication. Voici l'application pratique du vélocipède en Slavonie. Le lendemain, samedi matin, nous nous sommes réveillés sous un soleil d'été éclatant, à 5 heures, nous étions déjà sur la route qui traversait le plateau du château, ici, bien sûr, nous roulions sur une route qui ressemblait à un parc. Cependant, à peine avions-nous quitté la « Ville Basse », que nous avons pris la route de campagne menant à Vukovár. Cette route était terriblement boueuse. Nous avons essayé d'utiliser le sentier qui s'étendait sur le côté gauche de la route ; les fossés de drainage qui y étaient installés, ainsi que les pieux qui faisaient obstacle aux charrettes, ont rendu l'utilisation de ces sentiers impossible. Plus nous avancions vers le sud, plus notre route devenait mauvaise et mauvaise. Finalement, nous avons compris que la route Eszék-Trpinje n'était en fait qu'en construction ! Nous sommes arrivés à l'endroit où les grandes pierres calcaires servant d'assise venaient d'être posées. Un ou deux kilomètres plus loin, nous n'avons trouvé aucune pierre. Des deux côtés de la route, le sol avait été creusé sur un mètre de profondeur, et la terre qui en avait été retirée avait été jetée en remblai ; c'était ça, la route ! On ne pouvait même pas y marcher, nos chaussures s'y enfonçaient jusqu'aux chevilles, ce que nous devions à la pluie d'hier. Nous n'avions rien d'autre à faire : soit marcher dans les prés, soit prendre la machine sur notre dos et voyager ainsi. Finalement, Stevens a opté pour la première option. Il a poussé sa machine hors du remblai, et j'ai clairement entendu, comme s'il se parlait à lui-même : « Road, wie in Afghanistán [[des routes comme en Afghanistan]] » ; « Yes ! » ai-je répondu : « wie in der Hölle ! [[comme en enfer]]» Nous avons marché 15 kilomètres sur un terrain aussi horrible. Nous avons poussé les machines dans un pré, pataugeant dans l'herbe jusqu'aux genoux. Tout à coup, je remarque que Stevens est monté sur sa machine et qu'il roule ! En Slavonie, il est de coutume de séparer le pré d'un propriétaire de celui d'un autre en traçant un profond sillon de charrue en guise de délimitation. Stevens a roulé à travers trois de ces sillons, comment, je ne sais pas. Je n'ai pas suivi son exemple. Après encore quelques kilomètres de marche, nous sommes arrivés à une auberge isolée appelée « Glissá ». Nous sommes entrés. Pour le petit-déjeuner, on nous a servi du bacon et du vin, je me suis mis à grignoter. Stevens ne faisait que regarder, j'ai presque lu du dégoût sur son visage. Finalement, il a dit : « Buuu, ist nit guuut ! [Beurk, ce n'est pas bon]», en me montrant le bacon. Pendant ce temps, dis-je, on pouvait lire sur son visage un tel dégoût, comme celui de Vendredi lorsque Robinson lui a offert du sel. Il y avait aussi une sorte de maître d'école ivre dans l'auberge, il a demandé un autographe à Stevens, qui le lui a donné. J'ai refusé, ce qui l'a beaucoup fâché contre moi. Finalement, nous sommes partis, à pied, dans la boue, en souffrant. À environ 2-3 km de l'auberge mentionnée, notre route s'est littéralement arrêtée. Un ruisseau d'un ou deux mètres de profondeur et d'un mètre de large bloquait le chemin ; des champs labourés et des prairies des deux côtés et au-delà du fossé, des champs de maïs ! Après quelques délibérations, nous avons pris sur la gauche et avons marché le long de la berge du ruisseau à travers les champs sur environ un kilomètre et demi ; là, nous avons finalement trouvé un pont, nous l'avons traversé et avons suivi la route qui se dirigeait vers le sud. Nous étions sur une voie de campagne abominable, pleine de nids-de-poule et boueuse ! Nous avons laissé le village de Vjera sur notre gauche, mais ici les routes se ramifiaient dans toutes les directions de la rose des vents ; nous avons dû attendre qu'un berger nous montre la route de Trpinje. Nous avons donc marché sur celle-ci, il n'était pas question de monter en selle ; pour ne pas nous ennuyer, nous avons commencé à siffler pour nous amuser mutuellement, j'ai parfaitement appris le « Yankee doodle » sur cette route ; en revanche, j'ai voulu amuser le fils d'Albion, maintenant noir comme un Tzigane, en sifflant des airs hongrois. Je lui ai servi la mélodie de « Kilyukadt a selyem kendő... » que j'avais apprise en compagnie de « Nagybajuszu » dans le « Magyar dalcsarnok », et quelques autres. Il a promis de mentionner dans le « Magazine » comment il s'est diverti sur cette route d'Eszék-Trpinje. Finalement, nous sommes arrivés à Trpinje. Il était environ 11 heures, nous avions parcouru 25 km à pied depuis le matin. Nous avons cherché quelque chose de rafraîchissant. Quelques minutes plus tard, nous étions dans le bar de la grande auberge. Stevens a failli éclater de rire en voyant la fresque peinte par un Raphaël de village sur le mur. Le sujet du tableau était le suivant : deux cavaliers, l'un serbe, l'autre turc, en uniforme, se battent à l'épée à cheval. Les personnages sont grandeur nature, leurs yeux et leurs épées tirées brillent de façon menaçante. Sous le tableau, on peut lire l'inscription suivante en lettres cyrilliques : « Le roi Marko tue le tyran Musza Keszeczia ». C'était une fresque tonitruante. Quelques minutes plus tard, nous sommes partis pour Vukovár. A la sortie du village, la route est entourée de potagers appartenant aux villageois. À l'intérieur, les travailleurs suaient à grosses gouttes sous le soleil brûlant. Stevens s'arrêtait de temps en temps, lorsqu'il entendait un homme ou une femme chanter en travaillant dans les jardins. Il écoutait avec intérêt les chants mélancoliques des Slaves du Sud, dont les paroles, presque sans exception, racontaient la bataille du « Koszovo polje » (champ des merles) ou les récits sur le roi Duschán. Quand les chanteurs ont remarqué que nous les écoutions, comme un rossignol gêné dans son chant, ils ont immédiatement arrêté pour nous demander, non sans un peu de peur : « Koszi te vi? valdaszte vi vrag? » (Qui êtes-vous ? Seriez-vous des diables ?). Près de Vukovár, les routes n'étaient plus aussi boueuses, il semblait qu'il n'avait pas plu aussi fort, mais en revanche, les contours bleu foncé de la Fruska-Gora se rapprochaient de plus en plus. Les cloches ont sonné midi, au moment où nous sommes arrivés à Vukovár. Dans la rue principale, un vieil homme nous a dirigés vers l'auberge appelée « Kod Lafa » (Au Lion). C'est un endroit décent, la cuisine est bonne. Après le déjeuner, j'ai demandé à Stevens s'il souhaitait rendre visite au comte Eltz, pour qui nous avions apporté une lettre de recommandation de Frank, d'Eszék. Il a expliqué son geste négatif en disant que nous partirions à 15 heures précises. Nous sommes donc restés à table, entre nos verres de vin blanc et de « Gieshübli [peut-être une variété de liqueur...] ». Nous sommes partis à 15 heures précises. Dans la partie sud de Vukovár, le pavage est mauvais, les rues sont étroites. D'Eszék jusqu'ici, nous sommes venus par la plaine, en quittant la ville, nous sommes entrés dans les collines de la Fruska-Gora, le Mons Almus des Romains. À partir de là, la route de campagne menant à Pétervárad et à India [[petite ville de Serbie]] est indiquée sur les cartes comme une route de campagne ordinaire. Ce n'en est pas une, car elle n'est pas pavée et ne l'a jamais été ! Son caractère de route de campagne se distingue uniquement par le fait qu'elle fait 12 coudées de large et qu'elle est bordée par une ligne télégraphique. Cette route de campagne ne fait d'ailleurs que 120 centimètres de largeur praticable, c'est-à-dire la largeur des essieux des charrettes qui y circulent ; le reste était envahi par de mauvaises herbes. La voie elle-même, comme il est habituel pour ce genre de routes de campagne, était creusée d'ornières et criblée de trous par les fers à cheval. Nous avons atteint Szotin, nous ne nous sommes pas arrêtés, nous avons juste traversé ; une fois sorti du village, Stevens est parti en tête, je l'ai suivi de bon coeur. J'ai remarqué que la route était de nouveau pavée. Le pavage était récent. Agacé, j'ai mis pied à terre et j'ai allumé un cigare en marchant pour le fumer. Stevens filait devant moi à environ 100 m. A un certain moment, un paysan m'a demandé où nous allions. Je lui ai répondu que nous allions à Sarengrad. Mais cette route mène à Tovarnik ! a dit mon homme. Après plusieurs confirmations, j'ai finalement réalisé que nous nous étions trompés. J'ai jeté mon cigare avec dépit, je suis monté en selle pour rattraper Stevens à temps. Oui, mais Stevens avait déjà disparu de l'horizon, et la route était très caillouteuse, comment allais-je rattraper l'Anglais ? Finalement, je l'ai rattrapé, nous avons tourné à gauche sur un chemin de campagne qui mène à Opatovácz. En revenant à Opatovácz, nous avons pris un détour d'environ 12 kilomètres. Dans ce dernier endroit, la Fruska-Gora se présente déjà dans toute sa splendeur, ou plutôt avec ses pentes raides ! Nous avons pris cette route, car nous voulions arriver à Sarengrad à 19 heures. L'effort du vélocipédiste dans les Alpes s'est imposé à nous ; il fallait pousser la machine sur les collines, une fois en haut sur le plateau, faire attention à ne pas dévaler sans le vouloir sur une pente trop raide. Stevens portait son poids sur la fourche de sa machine, il aurait pu faire une « tête » [chute tête en avant ; mésaventure courante à l'époque avec les grands-bis] dans un endroit raide, alors j'ai pris les devants. « Abrubt ! » criai-je, et nous mettions pied à terre si j'apercevais un endroit trop pentu. Le soleil couchant, d'ailleurs, illuminait cette belle région de magnifiques couleurs. À gauche, le ruban bleuâtre du Danube qui serpentait se perdait au loin ; à droite, les contours bleu foncé des sommets de la chaîne de montagnes formaient un magnifique cadre pour le paysage de troupeaux de moutons et de chèvres se reposant à l'ombre des chênes. Quelle ressemblance entre cette beauté naturelle et les paysages de Rembrandt ! Il ne manquait rien. Ni le berger qui gardait son troupeau en sifflant, ni le bosquet de chênes et de hêtres, ni le pont en bois délabré construit à travers les routes de campagne, avec le petit ruisseau de montagne qui coule en dessous, ni la jeune fille du village qui chante ! J'ai attiré l'attention de Stevens sur la beauté de ce paysage. Il a répondu : « Prospectus », et « Roulez ! ». Il faisait sombre quand nous sommes arrivés à Sarengrad. Après le dîner, on nous a logés dans une chambre sale, à l'odeur de moisi, et ce qui m'a surtout déçu, avec des lits trop courts. Le bruit des fêtards dans le bar menaçait la paix de notre sommeil. J'ai déclaré au tenancier que s'il ne se faisait pas silence dans une demi-heure, nous partirions pour Ilok, nous devions nous reposer ! Le silence s'est fait, mais à cause des lits trops petits nous avons cauchemardé. Le matin, dimanche 14, nous sommes partis à l'heure habituelle. Au moment de notre départ, je lève les yeux vers le nord depuis la cour de l'auberge, et je remarque maintenant le château en ruine des Cyllei. J'attire l'attention de Stevens sur lui et je l'invite à venir avec moi, pour voir ces vieilles ruines. Il n'en avait pas envie. Nous sommes montés en selle et avons pris la route. Le paysage est décidément montagneux, avec un style semblable aux Alpes. Notre route traverse exclusivement des vignes. La hauteur des collines atteint parfois près de 120 m. Il est très fréquent que nous soyons obligés de descendre de bicycle dans les pentes. Nous avons traversé Ilok sans descendre. La route de campagne ceint la partie sud de la ville en demi-cercle, deux demoiselles en tenue du dimanche nous ont interpellés : « Sztanite ! » « Stopp ! » et nous nous sommes arrêtés. J'ai demandé aux petites demoiselles ce que nous pouvions faire pour elles ? Elles ont ri. Stevens a souri en notant : « Petites demoiselles guut ! [jolies petites demoiselles] », et nous sommes partis. Après avoir escaladé les collines de Nesztin et Szuszek, nous arrivons à Cserevitz. Il était probablement 11 heures du matin. Après nous être installés, Stevens s'est mis à écrire, je l'ai bien invité à se baigner, mais il est resté à ses travaux littéraires, alors j'y suis allé seul. Il n'y a pas de piscine à Cserevitz, mais Dieu merci, il n'est pas interdit de se baigner dans le Danube ; je me suis rapidement enfoncé dans les vagues fraîches jusqu'au cou. Ici, j'ai eu une aventure, un citoyen bosniaque est venu vers moi et m'a demandé de baigner son cheval. Il n'osait pas y aller. Eh bien, je vais le faire ; je suis monté dessus et je l'ai fait avancer dans le Danube. Nous avancions, mais alors que nous étions déjà à environ 40 coudées du rivage, le cheval a commencé à se noyer ; j'ai rapidement mis pied à terre, j'ai saisi les sangles du licol et je l'ai tiré vers le rivage. Près du rivage, je suis remonté dessus. Le cheval affolé s'est précipité hors des vagues, tête la première, j'ai chuté et me suis blessé le pied gauche sur les cailloux du Danube. Le paysan n'a pas eu envie de rire, il était trop content que je n'aie pas noyé son cheval. L'après-midi, après avoir quitté Cserevitz, après quelques kilomètres, nous avons laissé les cimenteries de Beocsin sur notre droite. Le caractère de la route a également changé ; il y avait des morceaux de pierre de la taille d'un chapeau sur la route, comme s'ils y étaient incrustés. Je me souviens de les avoir beaucoup maudits ; finalement après Kamenitz, la route est redevenue lisse. De cette même plaine, une belle vue s'ouvrait sur la forteresse de Pétervárad, Ujvidék, avec ses clochers scintillants et le pont de chemin de fer qui la rejoint. Vers 17 heures, nous étions à Kamenitz. Nous avons poussé nos machines sur une colline raide, jusqu'à ce que nous arrivions devant la grande auberge du village. À l'intérieur, la jeunesse du village tenait un bal sensationnel. Je suis entré pour demander du vin, quand j'ai remarqué qu'ils dansaient le « kóló » avec une fureur démente, et de si belles « demoiselou » le dansaient avec une furieuse énergie, lesquelles, munies de la lettre de recommandation imprimée sur leurs visages, auraient pu postuler pour remporter le prix de vertu du comte Karácsonyi [[selon chatGPT, l’auteur semble se moquer de l’idée de récompenser des qualités vertueuses dans un contexte aussi frivole et énergique que la danse. Cela pourrait refléter une certaine critique de la société hongroise de l'époque, où les apparences ou les titres de noblesse étaient parfois plus valorisés que la véritable vertu. Karátsonyi est le patronyme d'une ancienne famille noble hongroise originaire de Transylvanie]]. Je me suis précipité dehors pour appeler Stevens, qu'il vienne voir cette danse nationale si particulière. Nous nous sommes tenus à l'extérieur du cercle. À peine le groupe de danseurs nous a-t-il remarqués, nous, des étrangers, qu'ils ont formé un cercle de danse autour de nous, maintenant le Yankee pouvait regarder à sa guise. Le joueur de cornemuse jouait de la cornemuse, les violonistes jouaient du violon, les garçons serraient sans pitié les femmes du village, ici et là, on voyait un fils de Mars, de Pétervárad, en uniforme de soldat, et ceux-ci, d'ailleurs, ne plaisantaient pas quand une « seniora » tombait entre leurs mains. Elles criaient et se lamentaient. Les paysans buvaient. Quand j'ai rappelé Stevens pour partir, après une demi-heure d'observation : « Moment, moment », a-t-il dit, en me retenant. Je suis donc resté et j'ai attendu qu'il donne le signal de départ. Finalement, il en a eu assez du « kóló », et nous sommes sortis. Je voulais aussi lui faire connaître une deuxième curiosité de Kamenitz, le parc du comte Karácsonyi. Nous nous sommes fait indiquer le chemin. Bientôt, nous sommes montés sur nos machines et nous sommes partis. À l'entrée du parc, un monsieur nous interpelle et se présente. Il s'est avéré que nous étions en face d'un ami enthousiaste du vélocipède : M. Zahnbauer, professeur et rédacteur en chef de « Ujvidék ». C'est en sa compagnie que nous avons visité le parc remarquable, c'est lui qui nous a montré le point du jardin d'où la vue sur la région est la plus belle. Finalement, après cette brève inspection, nous nous sommes séparés avec la promesse de nous retrouver à Pétervárad dans une demi-heure. Il devait y aller avec le bateau local qui était sur le point de partir, nous, y arriverions en selle sur nos machines. La route Kamenitz-Pétervárad est longue de 6 km. C'est une route lisse et très bien entretenue, mais ces 6 km sont en fait une crête de colline : en partant de Kamenitz, elle monte sur 2 km et demi, a un plateau d'environ 1 km. Et ensuite, elle descend en pente raide vers Pétervárad. Nous sommes arrivés à l'heure prévue sur la place de la forteresse de Pétervárad. M. Zahnbauer venait déjà à notre rencontre. Nous nous sommes logés à l'hôtel appelé « zöld fá » (au chêne vert), puis nous sommes allés au restaurant d'Ujvidék connu sous le nom de « Restauratio ». Au moment où nous avons traversé le pont d'Ujvidék, nous avons signalé à Stevens que nous revenions en Hongrie. Dans le restaurant « Restauratio », nous avons trouvé une grande société connue de M. Zahnbauer. Quelle ne fut pas la joie de Stevens, lorsque la charmante femme de l'avocat *** l'a parfaitement interpellé dans la langue anglaise. J'ai envié son sort ; la belle femme a parlé au grand voyageur avec un charme infini. Elle lui a donné une rose, il s'est empressé de l'épingler sur sa poitrine. En chemin, combien de soins et d'attention a reçu cette rose sur cette veste bleu foncé à 16 poches, jamais enlevée en cours de route ! Il a tenu la promesse faite à la belle femme, il a même porté jusqu'à Belgrade cette rose reçue à Ujvidék [distance : 100 km]. Il était bien plus de 23 heures lorsque nous nous sommes couchés à l'auberge. Le matin, vers 4 heures, de nouveaux invités sont arrivés, à savoir le lieutenant d'artillerie Antal Aberle, Zahnbauer et le juge de district Ottó Paukovits. C'est à ce dernier, un brave ami du vélocipède, que l'on doit la naissance, à Ujvidék, de fervents vélocipédistes comme Zahnbauer et Maximovits. En revenant de mon voyage à Belgrade, j'ai trouvé ces cinq sportifs enthousiastes occupés à l'idée de former un club. Les difficultés de la fondation étaient déjà surmontées, car avec l'intervention du vieil oncle Grosinger, les autorités compétentes n'ont fait aucune difficulté à la transformation du parc de la ville en terrain d'entraînement. All right ! Ottó Paukovits ! Mais revenons à notre départ de Pétervárad ! Nous étions déjà parfaitement habillés, et nous avions fini notre petit-déjeuner fait de lait froid. Il était 5 heures ! Le lieutenant Aberle, bien que ses tâches l'appellaient ailleurs, en tant que vélocipédiste n'a pas pu résister au désir de nous accompagner. Il est donc rentré chez lui, a pris son bicycle Hillman de 1 m 40 [diamètre de la roue avant ; Hillman fut l'un des premiers constructeurs de grands-bis] et nous a rejoints en uniforme pour nous accompagner jusqu'à Karlovitz. Aberle était un élève de l'institut militaire de Bécsújhely, c'est là qu'il a appris à faire du vélocipède. En tant que patriote et vélocipédiste, je souhaite que de plus en plus de personnes de ce genre sortent de l'institut militaire de Bécsújhely. Paukovits, à notre grand regret, n'a pas pu venir avec nous en machine, ses tâches de juge l'appelaient. Nous sommes donc trois à l'avoir accompagné seulement jusqu'à la porte de la forteresse de Pétervárad. Stevens a fait ses adieux à ces connaissances d'Ujvidék, probablement pour toujours. J'ai promis qu'en revenant, je viendrais faire du vélo et visiter la tombe de János Kapisztrán [Kapisztrán János, (1386-1456) était un prêtre catholique italien. prédicateur, théologien et inquisiteur, il s'est mérité le surnom de « le saint soldat » lorsqu'en 1456, à l'âge de 70 ans, il a mené une croisade contre l'invasion de l'Empire ottoman]. Je suis revenu ; nous avons fait du bicycle, mais je n'ai pas vu la tombe. Devant nous, la route de campagne qui s'étend vers Karloca est exceptionnellement en bon état. Elle est vallonnée, nous avons roulé à une vitesse de 16 kilomètres heure. À l'endroit où la célèbre paix de Karloca a été conclue en 1699, se trouve actuellement une chapelle appelée Mariafried. À partir de ce point, la route de Karloca monte continuellement sur le flanc de la colline ; Aberle et Stevens sont montés en selle, comme s'ils voulaient tester leur force, cinq minutes plus tard, je les ai trouvés avec le visage rougi au sommet de la colline. Je connaissais la façon de rouler de Stevens ; il avait mis pied à terre devant des collines beaucoup moins importantes, mais ici, devant le lieutenant, sa fierté d'Anglais aurait été blessée s'il était descendu. Ils ont dû pédaler avec vigueur pour se hisser sur cette route de 2 kilomètres. Au sommet de la colline, le lieutenant a brièvement raconté l'histoire des batailles qui se sont déroulées dans la région. Moi, les vignes magnifiquement situées m'ont mis en extase. Stevens s'est assis sur un banc à l'ombre devant une cabane, il a pris des notes. Je n'ai jamais vu Stevens rester inactif, il faisait toujours quelque chose, mais au moins là il était assis ! Mes deux compagnons se sont remis de la fatigue de la montée, nous sommes descendus à pied à Karloca. Aberle nous a prévenus à l'avance que nous ne serions pas en mesure de rouler sur le pavage de Karloca. Ce pavage est vraiment sans pareil, il est tellement mauvais ! Il nous a accompagnés jusqu'au centre de la ville, c'est-à-dire jusqu'à la place du marché. Il nous a montré la route que nous devions prendre, a déclaré qu'en quittant la ville, nous devrions faire face à la chaîne de montagnes de Venácz, qui monte sur 8 km, et qu'il nous faudrait pousser nos bicycles sur celle-ci ; mais une fois en haut, nous descendrions continuellement jusqu'à Zimony. Une poignée de main amicale a suivi et nous nous sommes séparés de ce brave soldat-vélocipédiste. Nous avons poussé nos machines hors de la ville et nous sommes montés en selle devant les rails du chemin de fer de Zimony. Nous n'avons pu rouler que sur environ 2 kilomètres et nous sommes arrivés devant la colline de Venácz mentionnée par Aberle. Le flanc de la colline est si raide qu'il est même difficile de pousser, la route est mal pavée. Stevens a commencé notre divertissement conventionnel : il a sifflé sa chanson nationale, j'ai répondu avec des chansons hongroises ; quand parfois il se lassait de siffler, il mettait des paroles : « Yankee dudl komm in Taun.... [Les Yankees arrivent en ville]» Finalement, nous avons arrêté de siffler ; le Venácz devenait de plus en plus raide. Nous poussions ! Stevens semblait perdu dans ses pensées. Moi, il m'est venu à l'esprit que, voyez, à peine 70 kilomètres nous séparaient de Belgrade, je devais me séparer de mon Yankee, et je le connaissais à peine. J'ai eu l'idée de le faire sortir de ses gonds. Les compagnons vélocipédistes savent certainement que lorsque l'on doit longtemps marcher à côté de sa machine à cause d'une mauvaise route ou d'une route de montagne, de mauvaises pensées surgissent. J'ai eu une idée. Je n'arrêtais pas de lui demander ses clés pour serrer une de mes vis. À ce moment-là, Stevens devait s'arrêter, défaire le chiffon sous sa selle, en sortir ses clés, me les donner, attendre que j'aie fini de serrer la vis. J'ai simulé ce serrage une dizaine de fois en montant le Venácz, Stevens m'a donné ses clés dix fois. La dixième fois, il l'a fait avec la même indifférence que la première. Ma farce n'a pas fonctionné ! Chaque fois, Stevens a rangé ses clés calmement. Plus tard à India, j'ai essayé de lui expliquer la raison de cette blague ; il a fait comme s'il avait compris - il n'a rien dit ! Nous sommes arrivés sur le plateau du Venácz, la route caillouteuse qui nous avait menés jusqu'ici a de nouveau pris le caractère d'un chemin de campagne, elle n'était plus pavée, et ce, jusqu'à Zimony. Nous avons appuyé nos machines contre un mûrier et nous nous sommes immergés dans la contemplation du magnifique panorama qui s'offrait à nous. Stevens a également été visiblement surpris par la beauté du paysage. Vers le sud, une magnifique plaine s'étendait devant nous avec ses épis dorés ; à l'est, le fleuve Danube serpentait à l'infini ; devant nous, la Fruska-Gora apparaissait dans toute sa sauvagerie. Nous étions à 240 m d'altitude et nous sentions déjà la température plus basse. Mon Anglais s'est mis à manger les mûres, moi, j'avais deviné que quelques kilomètres plus loin, nous tomberions sur une auberge de vin, je n'en ai pas mangées. « En route ? » demanda Stevens après le petit-déjeuner aux mûres. « Yes ! » répondis-je, et nous sommes montés en selle. Nous avons commencé à descendre la colline, la pente prenait par endroits une configuration dangereuse, Stevens fonçait comme une flèche à travers ces endroits. Si jamais j'ai eu peur, c'est ici, à la descente du Venácz. À chaque instant, je craignais qu'une malheureuse « tête » ne lui brise les ailes et qu'il ne subisse le sort d'Icare. Dieu merci, je me suis trompé ! La descente, malgré son caractère casse-cou, s'est bien achevée. Nous nous sommes arrêtés devant l'auberge, j'ai invité Stevens à venir boire quelque chose. D'un geste de la main et de la tête inimitable, il a montré qu'il n'en avait pas besoin, car, a-t-il dit, en se caressant le ventre avec sa main droite : « Plendi ». C'est plein. Pendant que moi, j'essayais de soutirer du pain, des oignons rouges et du vin à ma tenancière allemande, Stevens comptait les kilomètres à l'ombre d'un mûrier - assis, bien sûr. Il a ajusté sa rose avec une aiguille et du fil, ces outils, il les a fait sortir comme par magie d'une miniature de poche cachée sous le col de la légendaire veste bleue, ce merveilleux homme. Il y avait d'ailleurs beaucoup de poches sur cette veste, mais elles étaient cachées comme des compartiments secrets ; 8 étaient publiques, car on pouvait les voir. Il y avait quelque chose dans chacune des poches publiques et secrètes. Mais ne violons pas le secret de ces poches ! Nous menions bon train sur la route boueuse menant à India, après un cahot dans un nid-de-poule, un de mes rayons s'est cassé. L'« Invencible » a des rayons tangents. Quelque part, Schwanda a décrit la différence des types de rayonnage, il considère les rayons tangents comme les meilleurs, car il paraît que quelqu'un a roulé avec sans aucune casse. Schwanda a tout à fait raison ! Ces rayons sont solides, légers, et maintiennent la jante de manière rigide. L'inconvénient est le suivant : si l'un se casse, il faut en remplacer deux. Et si le boulon du rayon cassé tombe d'une manière ou d'une autre dans le bord vide de la jante, il faut être un homme pour le récupérer. Je ne pouvais bien sûr pas penser à remplacer le rayon cassé par un autre, je l'ai simplement enroulé autour du rayon sain. En voyant cela, Stevens a dévissé la poignée en os de son guidon droit avec un air de triomphe, et a sorti de l'intérieur du guidon 4 rayons nécessaires à sa machine. Une fois de plus, la practicité de l'Américain a été mise en évidence par cet acte. Mon guidon, par ailleurs, était courbé et plein. D'autre part, sa machine n'avait pas de rayons tangents. Après avoir surmonté ce premier problème, nous avons continué notre chemin, Stevens a pris une avance de 500 m. Il est passé devant une charrette garée sur le côté droit de la route, deux chevaux étaient attachés à la banquette de la charrette. Ils donnaient déjà des coups de pied alors que l'Anglais s'approchait d'eux, mais dès qu'ils m'ont vu arriver, ils ont déchiré leurs licols tout en donnant des coups de pied effrayés et ont commencé à courir devant moi. Le paysan qui fauchait son champ a remarqué que ses chevaux s'étaient échappés, s'est précipité après nous, en criant à tue-tête : « Sztani pusztaia, ukroszimi konya » (Arrête, voleur, tu as volé mes chevaux). Les autres paysans qui travaillaient, les uns par curiosité, les autres pour bien donner une correction aux « diables », se sont également précipités après nous. Nous avons donc dévalé la pente sud de la charmante Fruska-Gora dans une telle procession : devant, l'Anglais, qui ne changerait pas son rythme de pédalage normal pour la moitié du monde. De loin, on voit le balancement de son grand casque blanc, derrière lui, à environ 100 mètres, deux chevaux affolés, qui hennissent d'effroi, mais ils ne courent pas instinctivement vers les récoltes et les champs de maïs qui s'étendent à droite et à gauche, je suis les chevaux à une distance d'environ 50 m, et derrière moi, à 100 m, une compagnie de paysans qui courent, avides de sang, en hurlant. Cette course effrénée a duré 3 kilomètres. L'Anglais est descendu dans une cuvette profonde, la vitesse des machines a doublé pendant ce temps, le troupeau de paysans qui nous poursuivait a pris un retard considérable, mais on entendait encore leurs hurlements. Quand nous sommes arrivés dans la vallée, il y avait des prairies des deux côtés : nos chevaux ont quitté la route et ont galopé dans les prés. Nous nous sommes arrêtés devant une colline d'un kilomètre de long, nous avons poussé nos machines dessus. et quand nous sommes arrivés en haut, les paysans qui nous poursuivaient étaient arrivés dans la vallée. Je les ai montrés à Stevens et je lui ai expliqué la possible guerre paysanne. Il m'a regardé en souriant, a levé sa main droite et, en faisant le signe deux avec l'index et le pouce, a prononcé le mot « Hász ». Au premier moment, j'ai cru qu'il parlait allemand et j'ai regardé autour de moi pour voir où il avait pu voir deux lièvres ? Finalement, il s'est avéré qu'il parlait de la poursuite avec les chevaux. Nous sommes arrivés à India vers 10 heures du matin. Nous nous sommes retirés dans notre chambre de jour avec Stevens, et après avoir installé ma machine, je me suis rendu compte que le roulement à billes de ma pédale gauche était cassé. J'étais agacé, mais après avoir appris qu'il y avait un serrurier dans le village, je l'ai démontée et la lui ai donnée, en expliquant au maître comment la réparation devait être faite. Je me suis allongé sur le lit, je voulais me reposer. La plume de Stevens crissait. J'ai jeté un regard distrait sur les deux machines côte à côte. Je trouve étrange que ma selle soit si près du cadre, qu'elle soit si basse, alors que celle de Stevens est si haute. Je me lève et je soulève le cuir de ma selle de type « anatomique » pour mieux voir. J'ai assez vu ! Mon ressort en acier lisse était cassé en deux au milieu. Le poids de la selle, donc le poids du vélocipédiste, reposait sur le cadre. La lame d'acier pouvait se détacher à tout moment. J'ai été pris d'une colère terrible. Stevens a fait attention à mes exclamations apostrophant les mauvais ressorts en acier. En lui montrant le problème, j'ai dit : « Reparation ! » Il est venu, a semblé réfléchir attentivement pendant un moment, puis il a dit : « Non ». - À ce moment-là, il a soulevé le ressort qui s'était affaissé jusqu'au cadre, et a glissé sa main en dessous pour signifier qu'il fallait mettre quelque chose là, et puis c'est bon ! « Reparation temporaire, reparation veritable in Belgrade ! », a-t-il dit et s'est rassis à sa pile d'écrits. Je savais très bien que, par exemple, en mettant un morceau de bois en dessous, on pouvait faire une réparation improvisée, mais Zimony est encore à environ 40 kilomètres d'India. D'ici là, je vais endommager la partie de mon corps en contact direct avec la selle à ressort... en bois. Finalement, je n'aurais pas pu utiliser une autre méthode à India. Le serrurier et le menuisier ne furent prêts qu'après 17 heures pour mettre en place le support en bois sous le ressort cassé. J'ai payé 3 florins 50 krones pour l'ajustement de la pédale et du morceau de bois. J'ai réveillé Stevens, qui avait profité du temps de la réparation pour s'allonger sans gêne sur la balustrade de la véranda et, pour se protéger des mouches, avait tiré son casque sur son visage - il dormait ! Parce que, a-t-il dit : « Kuul », il voulait dire : c'est frais là ! Nous sommes partis, tout le monde dans le village, petits et grands, attendait ce moment solennel depuis des heures. Au moment de monter en selle, j'ai failli faire une « tête » ordinaire. En effet, en mettant le morceau de bois sous le ressort, la position de la selle avait changé, elle occupait une position environ 3 centimètres plus haute qu'auparavant. À peine étions-nous sortis du village, que je me suis rendu compte avec horreur que j'avais une assise terriblement douloureuse. Cet itinéraire m'a donné l'occasion de me convaincre que la première et principale nécessité du vélocipède est d'avoir une assise confortable. C'est-à-dire que l'on soit bien suspendu dessus ! Que la machine ait un moins bon roulement, ou que le centre de gravité tombe plutôt vers la petite roue, nous le compensons par la force physique. En bref, la machine peut être de n'importe quelle construction bancale, on peut faire du vélocipède avec adresse et force, mais avec une mauvaise assise, on souffre. C'est ce qui m'est arrivé sur la route India-Zimony. Il était difficile d'éviter les charrettes, car la partie boueuse de la route augmentait ma douleur. Nous avons avancé à un rythme lent. Stevens soufflait son « Yankee doodle » sans variation. Il sonnait maintenant à mes oreilles comme une marche funèbre. Le paysage était plat, il descendait légèrement vers Zimony, donc nous n'avons pas eu à descendre de bicycle pour monter des formations de collines. Sans le fatal problème de ressort, cette dernière partie de la route aurait été agréable. Nous ne nous sommes pas arrêtés dans le village de Ó-Pazua, la rue principale du village fait environ 3 kilomètres de long ; les paysans qui se sont précipités ont félicité Stevens pour sa belle assise droite, on a dit de moi que j'étais un débutant qui n'apprenait que maintenant à rouler à bicycle. Ils ont aussi insisté sur une chose : « Gle toj Goszpodár », ont-ils dit en me montrant, « drugi je szluga koi noszi bagazsiju », ont-ils ajouté en montrant Stevens. (Voilà le maître ; celui qui porte le bagage est le serviteur.) Je pouvais être sûr d'une chose : si j'arrive à Belgrade, je ne monterai pas en selle pendant une semaine. À Új-Pazua, nous avons bu un verre de vin et aux cloches de l'Angelus de 20 heures, nous étions à Batainitza. J'ai oublié de mentionner qu'à India, vers 15-16 heures, nous avions envoyé le télégramme suivant à Belgrade : « Velocziped-Verein Belgrád. Wir kommen morgen Früh. Thomas Stevens, Svetozár Igali. [Association Vélocipède de Belgrade. Nous serons là demain matin. Thomas Stevens, Svetozár Igali.] » À Batainitza, nous avons cherché une auberge, nous en avons rapidement trouvé une, nous nous sommes installés, nous avons commandé notre dîner, et puis nous avons commencé la promenade habituelle dans le but d'enrichir nos connaissances topographiques et ethnographiques. En sortant de l'auberge, un marchand local, X..., s'est présenté à nous et, comme nous cherchions des « choses à voir », il s'est proposé comme cicérone. Il nous a conduits dans son jardin fruitier adjacent à l'auberge, Stevens a pu voir et goûter à sa guise. Le choix était vaste. De là, nous sommes allés voir l'église serbe, Stevens s'est certainement souvenu de la scène de la synagogue d'Eszék, car il n'a pas enlevé son couvre-chef même au milieu de l'église ; quand le juge, qui nous avait rejoints entre-temps, lui a fait remarquer cela d'une voix très respectable, il a enlevé sa coiffure avec indifférence. Qu'a-t-il bien pu penser ? Le croissant de lune du premier quartier brillait déjà joliment lorsque nous sommes sortis. M. X. a pensé que nous devions montrer à l'Américain la bande de Tsiganes qui campait à la sortie du village. Notre dîner n'était de toute façon pas encore prêt, la proposition a été acceptée. Après quelques centaines de pas, nous sommes arrivés. Nous avons entendu de loin le jappement de chiens querelleurs et les pleurs d'enfants. En arrivant, nous avons vu environ 5-6 tentes en toile de bâche, dans lesquelles un feu brûlait joyeusement. Ils cuisinaient, ils faisaient une grillade. Quand ils nous ont remarqués, une émeute d'enfants, de filles, d'hommes à moitié nus ou entièrement nus, ont bondi hors de ces tentes et ont couru vers nous. Ils devaient être une cinquantaine, sans distinction de sexe ni d'âge. Nous sommes allés dans l'espace entouré par les tentes, d'où Stevens pouvait voir confortablement à l'intérieur, il les a toutes regardées. Après avoir terminé cette inspection, M. X. a persuadé le voïvode [[chef]] d'organiser un bal. Un grand Tsigane maigre s'est assis par terre, on a mis devant lui une petite auge enduite d'une substance collante, on lui a mis deux bâtons dans les mains, et le garçon a commencé à frotter les extrémités de ces bâtons sur le dessus de l'auge, ce qui en a fait sortir des sons ressemblant à des grognements de cochon, des beuglements de veau, des coassements et des cris. Cinq ou six personnes se sont accroupies autour du musicien, et accompagnaient cette dissonance de leur chant, les filles adolescentes et les gamins se sont mis à danser. Si Apollon et Terpsichore voyaient et entendaient ça, ils en mourraient ! Stevens a tout suivi avec attention, j'ai remarqué qu'il regardait avec intérêt la danse presque débauchée d'une jeune fille tsigane de grande taille, qui semblait avoir 16-17 ans, avec un visage régulier. Je n'ai pas pu m'empêcher de lui dire avec malice : « Petite demoiselou, guuut ! » Il a répondu en souriant : « Constantinople ! » Voulait-il dire par là que c'est là-bas qu'il organiserait un bal ? Notre dîner s'est prolongé jusqu'à 23 heures. J'ai écouté avec intérêt l'histoire de mon cicérone. Il a raconté l'histoire du bâtiment de l'auberge. Qu'à l'époque de Joseph II, c'était un repaire de bandits redoutés ! Nous n'avons pas regardé les cellules souterraines qui prouvaient l'authenticité de l'histoire. Le mardi matin, alors que nous prenions notre petit-déjeuner de lait froid dans la cour de l'auberge, Stevens m'a surpris en se caressant le ventre et en disant : « Indisposé ! » Je l'ai regardé, il était remarquablement pâle. J'ai demandé : « En route ? A bicycle jusqu'à Belgrade? » « Yes ! » a-t-il répondu. La distance totale est faible, Zimony n'était qu'à 15 km. Nous sommes partis à 5 heures précises, beaucoup de charrettes sont parties en même temps que nous. Elles voulaient voir comment allait le « Tocsák ! [[bicycle]] » Mais sur la route sans colline, elles ont été rapidement distancées. À 6 heures, nous sommes descendus devant la barrière douanière de Zimony, car le pavage horrible des villes du sud a commencé ici ! Ce genre de pavage effroyable commence à Mohács pour les villes du sud de la Hongrie. À partir de cette ville, chacune pourrait afficher l'avertissement suivant, emprunté à Dante : Avis aux vélocipédistes ! « Entre qui que tu sois, et abandonne toute espérance ». Si l'on n'a pas un « Kangaroo », on ne s'en sort pas sur un pavage comme celui de Karloca, Mohács et Zimony. Stevens a essayé la bordure, il n'y a pas réussi non plus, les fossés de drainage, les flaques d'eau, les branches d'arbres qui pendaient l'ont gêné. Nous avons poussé nos bicycles à travers les rues de Zimony. Je n'avais pas de passeport, j'ai donc dû en obtenir un ici pour pouvoir débarquer à Belgrade. J'avais reçu une lettre de recommandation de M. Frank à Eszék pour le Dr. Szubotics, quelqu'un qui supposément pouvait régler ce genre de choses. Nous sommes donc allés chez le Dr. Szubotics ; après avoir appuyé nos machines contre le mur, nous sommes montés chez lui ; après les présentations mutuelles, le vieil homme s'est déclaré prêt à écrire une lettre au capitaine en ma faveur. Pendant que le vieil homme écrivait, Stevens s'est ennuyé, il a dit : « Machine », puis il a tourné les talons et nous a laissés en plan. Finalement, la lettre était prête, j'ai remercié. Nous sommes allés directement à la mairie, là, les agents de police nous ont informés que les affaires de « passe-port » ne sont traitées qu'à 9 heures, à l'arrivée du capitaine. Nous pouvions attendre d'ici là. Il était 7 heures ! Attendre deux heures n'est pas une mince affaire ! Il fallait que je trouve un moyen de l'obtenir plus tôt. Je suis retourné au bureau, j'ai sorti du « Radfahrers Jahrbuch [annuaire cycliste] » mon certificat délivré par Hildebrand, selon lequel j'étais le consul du « Cyclists Touring Club » dans le sud du pays. J'ai à peine pu retenir l'expression de ma joie quand le fonctionnaire m'a remis l'« autorisation » valable pour 4 jours. Pendant que j'étais occupé par ces affaires officielles, Stevens a mangé très sérieusement un cornet de cerises devant la mairie, le bon Dieu seul sait où il l'avait trouvé ! Une demi-heure plus tard, nous étions sur le pont de première classe du vapeur local qui partait pour Belgrade. Stevens semblait s'immerger dans la contemplation de cette pittoresque ville. C'est vrai que cette ville construite en amphithéâtre à la confluence de la Save et du Danube est magnifique. Stevens a remarqué trois jeunes hommes vêtus d'un uniforme de vélocipédiste bleu foncé depuis le pont. Il a attiré mon attention aussi, en pointant du doigt et en disant : « Membres de club vélocipédique ». Quelques minutes plus tard, le bateau a accosté. En débarquant, nous avons chaleureusement serré la main des trois vélocipédistes serbes qui étaient venus à notre rencontre. BELGRADE Ainsi, le mardi 16 juin à 8 heures du matin, nous avons mis le pied sur la rive serbe. Les vélocipédistes en uniforme et avec l'insigne du C.T.C. sur la poitrine, sont venus à notre rencontre, mais sans machine ! Car à Belgrade, le pavage d'avant le déluge ne permet pas ce genre d'exercice physique. Ils ont emporté nos machines à la hâte et les ont fait pousser par les domestiques de leur club. Pour discuter du programme, nous nous sommes retrouvés à la table d'une brasserie. Le nombre de membres en uniforme n'a cessé d'augmenter. C'est là que nous avons appris qu'environ 30 personnes nous avaient attendus de 5 à 7 heures, et qu'elles s'étaient dispersées en pensant que nous n'arriverions pas. Ils ont demandé à Stevens - car le président de la « Première société vélocipédique serbe » et consul du « Cyclists Touring Club », Nikolitsch-Terzibachitch, parlait aussi un peu anglais - s'il resterait quelques jours à Belgrade. « Je pars cet après-midi », a-t-il répondu. Mais après avoir appris que deux membres voulaient l'accompagner, et qu'ils ne pouvaient partir que demain, mercredi, il a été décidé qu'il partirait demain à 15 heures avec son escorte. C'est ce qui s'est passé ! Sur la route, nous nous étions promis qu'une fois arrivés à Belgrade, en souvenir de ce voyage, nous nous ferions photographier ensemble, aussi poussiéreux et avec nos machines boueuses que nous étions à notre arrivée. Nous l'avons fait. Après la séance photo, j'ai immédiatement envoyé ma machine en réparation. Sur la route boueuse d'Eszék-Trpinje, le « roulement à billes » s'était également emboué, je voulais un lavage au pétrole. Deux jours plus tard, quand j'ai récupéré la machine, je me suis trouvé satisfait de la réparation. Terzibachitch ne voulait même pas entendre parler d'hébergement à l'hôtel. Nous avons donc accepté son hospitalité, et nous n'avons eu aucune raison de le regretter. Mes remerciements pour cela ici aussi. Après nous être peignés et lavés, ce dont nous avions grand besoin, nous sommes montés dans une voiture [voiture à cheval, nous sommes en 1885] en compagnie de T., et nous avons parcouru les rues principales de la ville. Nous avons vu une ville qui sort tout juste de sa léthargie orientale. Nous avons vu une mosquée avec un minaret élancé s'élever fièrement vers le ciel, mais de la hauteur de laquelle le muezzin n'appelle plus les fidèles à la prière. Le gouvernement serbe l'a simplement transformée en usine à gaz. Nous avons parcouru la « Milanszka uliczá [[importante rue de Belgrade ; à l'époque, principale promenade de la ville]]», où trône le konak (résidence royale) construit dans le style de la Renaissance, qui ferait honneur même à la « Sugár út [[une avenue emblématique de Budapest, avec des édifices dans le style néo-renaissance]] » ou aux Champs-Élysées. Finalement, nous nous sommes rendus en voiture à Dortsol, l'ancien quartier turc, et à l'ancienne forteresse. Nous sommes descendus de notre voiture et nous nous sommes dirigés vers le rempart nord de la forteresse, qui donne sur le Danube. Nous devions être à environ 150 m au-dessus de la surface de l'eau du fleuve. Il faisait un temps magnifique et clair, il est vrai qu'il faisait aussi environ 35° de chaleur. Nous étions plongés dans un silence pensif. Combien de souvenirs historiques sont liés à ces murs, qui plongent si profondément dans l'histoire de la Hongrie ! En 1455, Hunyadi défend héroïquement ces murs contre Mehmed II. Titusz Dugovits a préféré chercher une mort héroïque dans les profondeurs, plutôt que de laisser le Turc monter, peut-être exactement à l'endroit où nous nous tenions. Notre regard errant s'est posé avec joie sur le panorama de Pancsova, de la belle plaine hongroise et des montagnes slavones ! Autour de nous, les hommes de la milice serbe prenaient leur déjeuner, j'ai demandé à l'un d'eux de me laisser goûter sa soupe, qu'il tenait dans une tasse géante. Dans le bouillon de bœuf gris et épais, il y avait un morceau de viande de la taille d'un poing et beaucoup de riz. C'est une nourriture savoureuse et nutritive. Stevens l'a aussi goûtée. Nous sommes allés dans le bâtiment moderne construit au milieu de la forteresse, T. a dit que nous y verrions l'arsenal. Nous n'avons rien vu, car le fonctionnaire concerné n'était pas là. Nous nous tenions avec Stevens à une fenêtre du premier étage et nous regardions les canons des XIVe et XVe siècles placés dans la cour, mon Anglais les a raillés en disant : « nit guuut ! [[pas bon]] ». Cette forteresse elle-même est d'origine romaine, elle s'appelait alors Singidunum. Nous avons également vu le puits de 60-70 toises de profondeur construit par les Romains. C'est à la température basse et aux gouttes d'eau qui tombaient du mur de pierre que j'ai dû un rhume géant. Mon Yankee n'a eu aucun problème. Malgré moi, son sous-vêtement en laine m'est venu à l'esprit. Vers midi, nous nous sommes rendus en voiture à l'ambassade d'Angleterre avec Stevens. Nous avons été accueillis très amicalement, ses lettres ont été visées, tamponnées, le secrétaire a marmonné énormément en anglais et mon compagnon de voyage a répondu très peu. Finalement, ils ont terminé. Nous nous sommes rendus en voiture au restaurant à l'enseigne « Velikoga Haiduka [[le Grand Haïdouk (brigand de grand chemin)]] », nous y avons trouvé tous les membres du club de Belgrade. C'est seulement alors que nous avons remarqué que les Serbes nous honoraient d'un banquet. Tous les banquets sont à peu près les mêmes. Les gens mangent beaucoup, vident beaucoup de verres, se portent mutuellement des toasts. Eh bien, nous avons fait de même au « Velikoga Haiduka ». À 15 heures, Stevens s'est levé et a dit à T. qu'il voulait aller chez le médecin. T. l'a donc conduit chez un médecin. Celui-ci a constaté un léger problème causé par l'important kilométrage à bicycle, il a recommandé beaucoup d'eau minérale. À 16 heures, nous nous sommes rendus en voiture au parc royal de Topcsidér. Environ 6 personnes sont venues à bicycle. Le parc est situé à six kilomètres au sud de Belgrade. J'en ai très souvent entendu les louanges. Je l'ai trouvé ordinaire. C'est un endroit de grande étendue, densément boisé et bien entretenu, avec des allées de promenade en terre battue ! Voilà tout ! Il ne s'approche pas des jardins de Versailles ou du Luxembourg. La partie du parc où Mihály Obrenovits a été assassiné est fermée au public [[Michel Obrenovitch III (1823 – 1868), est prince de Serbie de 1839 à 1842 puis, à nouveau, de 1860 à 1868. Déposé en 1842, il meurt assassiné en 1868]]. La maison construite par le chef de la dynastie régnante actuelle, Milos Obrenovits, est intéressante. C'est une villa d'un étage, de style turc. Au premier étage, on nous a montré un tas de reliques de la famille Obrenovits : le divan sur lequel Milos est mort, son lit, ses bottes, ses couverts, sa canne, etc. Au milieu de la table, on peut voir sous une cloche le sol rougi par le sang de Mihály assassiné. Les murs sont décorés de peintures à l'huile de peintres serbes du début du siècle, etc. Après une heure de contemplation, pendant laquelle Stevens a pris de nombreuses notes, nous nous sommes installés dans la brasserie voisine. Nous en avions grand besoin, la chaleur était écrasante ! Peu de temps après, Dusan Popovits est arrivé, il devait accompagner Stevens jusqu'à Pirot, ou éventuellement jusqu'à Sofia. Il a fait une démonstration de très beaux exercices de bicycle artistique, qui auraient fait honneur aux frères Terront français ou au hongrois Lajos Vermes. Stevens est également monté sur une machine, pour montrer à la compagnie sa façon de rouler. Il est monté avec une lenteur assurée, a fait un tour à son allure normale, puis est descendu lentement par la pédale gauche. Il n'a pas fait de figures ! Pourtant, il m'avait montré devant Földvár et Trpinje qu'il savait aussi le faire. Il a montré ses qualités de grimpeur à Rossi sur les collines d'Ercsi et à Aberle sur celles de Karloca. Il faisait complètement noir quand nous sommes revenus à Belgrade. Le soir, Stevens a exprimé son désir d'aller au théâtre, car il souhaitait voir la reine Natalia [[Nathalie Obrénovitch, née Natalia Kesko le 14 mai 1859 à Florence (Italie) et morte le 5 mai 1941 à Saint-Denis (France), dite aussi Nathalie de Serbie, est l’épouse de Milan Obrénovitch]]. Il avait beaucoup entendu parler de sa beauté. Ce souhait n'a pas pu être exaucé ; il n'y avait pas de représentation au théâtre le mardi soir. Le lendemain, j'ai eu plus de chance, j'ai pu voir la belle reine, sa beauté surpasse sa renommée. Le lendemain, contrairement à notre habitude, nous nous sommes levés tard. Nous avons rendu une nouvelle visite aux locaux du club de vélo de Belgrade. Nous avons d'abord visité le terrain d'entraînement. Je peux dire que c'est une magnifique piste circulaire, avec une circonférence de 100 mètres. Elle est très bien entretenue. Le terrain leur a été offert par la ville, et le club a dépensé 40 florins pour le rendre approprié. Les locaux officiels se composent de 2 grandes pièces, dans l'une se trouvent les machines ; il y en a environ 15-16, la plupart sont des machines Howe [fabricant de bicycles et tricycles de Glasgow, Ecosse], l'autre pièce sert de salle de lecture. Le vestiaire se trouve dans une antichambre qui sépare ces deux pièces. Sur la table, j'ai vu des magazines de vélo en anglais, en français et en allemand, y compris le « Radfahrert » et le « Veloceman ». Les murs sont décorés de photos du sport cycliste. Stevens a regardé ces photos avec beaucoup d'attention, et s'est soudainement tourné vers un membre qui parlait anglais, en lui demandant d'expliquer le texte allemand et français d'une image en couleur. L'image représentait un vélocipédiste poursuivi par des loups, le vélocipédiste, en roulant, sortait son revolver attaché à sa ceinture, tirait sur les bêtes, les tuait et s'en sortait sain et sauf. L'interprète le lui a raconté à peu près de la même manière, sauf qu'il a dit que l'endroit historique était la Roumanie, et que le vélocipédiste était roumain. « Ce n'est pas vrai », a répondu Stevens, « cet incident m'est arrivé alors que je faisais du vélo sur la route qui s'étend de San-Francisco à Boston. La même image a été publiée dans le Magazine "Outing" l'année dernière, elle a été découpée de là. » Les membres du club présents étaient stupéfaits. Nous connaissions Stevens comme un homme de caractère, nous n'avons pas douté un instant de la véracité de ses paroles. Il a été le premier à écrire son nom dans le livre d'or du club, il a rendu hommage à l'hospitalité qu'il avait reçue en quelques mots anglais. De là, nous sommes partis pour voir une autre curiosité de Belgrade, le musée. En entrant dans la première salle, nous nous sommes retrouvés dans une galerie de tableaux ; à gauche sur le mur, nous voyons le tableau grandeur nature du général de l'armée de la Drina, Ranko Alimpits. Dans la pièce voisine, nous voyons le buste de Brankó Radisevits, le poète décédé en 1852. Au milieu de la pièce, se trouvent des vitrines contenant les anciennes pièces de monnaie qui étaient en circulation en Serbie, et qui sont usées par le temps. Dans la salle contenant les antiquités, il y a des choses extrêmement intéressantes. En entrant, à gauche le long du mur, je vois un drapeau aux couleurs nationales hongroises avec l'inscription : « Pour le roi - pour la patrie ». Est-ce qu'il est arrivé là depuis les remparts de Szent-Tamás ? Je ne sais pas ! Plus loin, à droite, trône le drapeau offert par les dames de Livourne aux insurgés de 1876 avec cette inscription : « Dono delle donne livornesi. 1876. » Là-bas, dans le coin, un fusil de conception ancienne, dont le canon est plié à angle droit. Si vous lisez le papier collé sur le mur, vous apprendrez l'histoire du fusil : Stevan Csirics est allé se battre contre les Hongrois pendant les campagnes de 1848-49, il a mis son fusil sur son épaule et se promenait ainsi ; un boulet de canon hongrois est arrivé, a frappé le canon du fusil, il s'est plié net, mais M. Csirics était indemne ! Là-bas, dans le coin, se trouve la statue en bronze de Trajan, elle a été repêchée dans le lit du Danube près de Turn-Severin, etc. Finalement, nous en avons eu assez de la visite du musée. À midi, nous avons déjeuné chez les Terzibachitch. L'heure de départ était fixée à 15 heures précises ; à 14 heures, nous étions dans les locaux du club. Les deux accompagnateurs de Stevens étaient déjà là, en uniforme, prêts pour le voyage. Il a été décidé que Dusan Popovits accompagnerait Stevens jusqu'à la frontière serbe, c'est-à-dire jusqu'à Pirot. Si le temps le lui permet, il irait jusqu'à Sofia. Tichi ne les accompagnerait que sur 45 km, c'est-à-dire jusqu'à Szmedrovo (Szemendria). Moi et environ 12 membres du club les accompagnerions en voiture jusqu'à la deuxième mehána serbe (auberge construite au bord de la route), car la réparation de ma machine n'était pas encore faite. Stevens s'est approché de moi, a pointé ma ceinture, pour que je la lui donne. Je l'ai détachée, mais je ne savais pas ce qu'il voulait en faire. C'est alors qu'il a enlevé cette veste d'hiver bleu foncé, l'a attachée avec la ceinture et l'a ajustée sur son dos. « Souvenir de Igali ! », a-t-il dit en souriant. Finalement, j'ai compris pourquoi la légendaire veste avait été ôtée. Il était 14h30 précises lorsque nous sommes sortis des locaux du club. Les trois vélocipédistes sont passés devant, nous les avons suivis en groupe compact, et derrière nous sont venus les fiacres commandés. Je n'arrivais pas à me sortir de la tête que j'accompagnais un mort à sa dernière demeure. Toute l'escorte semblait être occupée par cette idée, car nous les suivions en silence, gravement. À 15 heures, nous sommes sortis de l'horrible pavage de la ville. Dans la direction sud-est, c'est-à-dire dans la direction de l'itinéraire des voyageurs, des nuages sombres s'amoncelaient dans le ciel. Stevens s'est arrêté, s'est tourné vers ses compagnons et a demandé : « En route ? » - Popovits, au lieu de répondre, est monté sur sa machine, et ils sont partis. Nous nous sommes assis dans nos fiacres, nous avons suivi les coureurs à une distance de 20-25 pas. Nous avons quitté Belgrade. La route sur laquelle nous roulions était extrêmement vallonnée et avait été aménagée de la même manière que celle que nous avions prise quelque part en Slavonie. Cette partie de la route rappelait l'itinéraire entre Beocsin et Karloca. Des pierres de la taille d'un chapeau étaient comme incrustées dans la route. Les vélocipédistes roulaient sur les sentiers piétons. Stevens était devant, les deux Serbes le suivaient à une distance d'environ 50 pas. Stevens est descendu avant même les collines plus courtes et moins raides - ses compagnons ont suivi son exemple. Ils ont eu raison, un vent de face violent s'est levé entre-temps. Après avoir avancé sur 5-6 kilomètres, ils ont tourné sur une route boueuse et détrempée. Il avait plu une heure avant. Les nuages que nous avions vus depuis Belgrade semblaient planer au-dessus de nos têtes. À deux endroits, nous sommes arrivés sur une route de campagne où il y avait un puits, ou plutôt une source, sur le côté gauche, son eau coulait librement sous la forme d'un petit ruisseau à travers la route de campagne. Tant pis pour vous, les voyageurs ! À ces endroits, j'ai vu Stevens soulever sa machine sur son épaule, enjamber une grosse pierre après l'autre, et transporter sa machine de cette manière. Terzibachitch, qui était dans la même voiture que moi, m'a dit que c'était l'usage en Serbie. À 16h15, nous sommes arrivés à l'endroit de notre séparation, - à la mehána de Bolecs. C'était une maison isolée, un grand voyageur devinerait que c'est une auberge. Nous sommes descendus de nos voitures, ils sont aussi descendus. Leurs roues montraient qu'ils avaient progressé dans une boue de 5-10 centimètres. Stevens n'avait pas le visage rougi, mais ses mains étaient remarquablement en sueur. Nous nous sommes tous assis sous la véranda. Le tenancier nous a servi une douceur parfumée à la rose : le « szládecs ». Les Serbes en ont avalé une cuillère à café et ont bu de l'eau. Moi, j'ai fait un visage terrible pour le plaisir, j'ai demandé du vin, - ils m'en ont donné. Mais il était pire que notre plus mauvais vin. Ce n'était pas du vin, mais du vinaigre avarié. J'ai jeté un regard pitoyable à Stevens, je lui ai révélé toute ma tristesse, - ma douleur. Je savais combien il aimait le bon vin avec de la « mineral vasserral » ! Où trouverait-il du vin, de l'eau minérale sur la suite de la route ? Ma parole ! Une mère en disant au revoir à son enfant ne peut ressentir une plus grande douleur que celle que j'ai ressentie à ce moment-là. J'ai regardé l'intérieur de la « Mehána », je ne le décrirai pas. Même cet endroit était plein de saleté, plein de crasse ! Qu'en sera-t-il des autres ? Les lits étaient cassés et sans draps ; maintenant, ils étaient probablement utilisés pour couvrir les chevaux, ou pour servir de coussins aux chiens dans les chenils ; le soir, ils seraient donnés à des voyageurs. J'ai voulu demander à Stevens s'il avait de la poudre contre les insectes, mais je n'ai pas pu ! Je suis retourné à la véranda, dans un état d'esprit horriblement abattu. J'ai sorti ma montre, j'ai vu qu'il était 17 heures précises. Je me suis levé de ma chaise et, d'une voix presque tremblante d'excitation, j'ai proposé à la compagnie : « Séparons-nous ! Les voyageurs ont encore un long chemin à faire aujourd'hui. » Les voyageurs ont sorti leurs machines. Les deux Serbes se sont mis de côté, ils attendaient que Stevens termine ses adieux. Je me suis aussi mis de côté, j'ai attendu qu'il en ait fini avec les autres. Il leur a serré la main sans un mot, et avec son inimitable manière, il a incliné la tête devant chacun d'eux. Finalement, c'était mon tour. Je lui ai serré la main, pendant quelques instants, aucun mot n'est sorti de mes lèvres, finalement j'ai pu parler : « Stevens », lui ai-je dit, « voilá, que nous faisons une séparation éternelle ! [[écrit ainsi, en français, dans le texte original en hongrois]] » Il m'a regardé sérieusement avec son regard pénétrant. Il a compris. Il a souri, « non, non Igali ! », a-t-il répondu, et en souriant toujours, il a montré que les Chinois n'allaient pas lui couper le cou. Il s'est frotté la pomme d'Adam avec sa main droite. « Non, non ! » a-t-il dit en souriant toujours. « Adieu Stevens ! » ; « Adieu Igali ! » a-t-il dit. Il a fait demi-tour et est parti, en poussant sa machine dans la boue qui lui arrivait aux chevilles. Nous l'avons regardé jusqu'à ce qu'il disparaisse de notre vue sur la droite au bas d'une colline. Dans la voiture qui nous ramenait à Belgrade, je n'ai pas pu cacher une larme traîtresse à Terzibachitch. Fin Pour le texte de cette traduction : COPYRIGHT © F. Tous droits réservés.