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Le Coffret à Cigares Volé
Je trouvai Hemlock Jones dans ses vieux appartements de Brook Street, rêvant devant la cheminée. Avec les aises d'un vieil ami je me jetai aussitôt à ses pieds dans ma vieille position familière, et carressai doucement sa chaussure. J'étais poussé à faire cela pour deux raisons ; l'une que cela me permettait d'avoir une bonne vue de sa face penchée, concentrée, et l'autre que cela tendait à montrer ma vénération pour sa perspicacité surhumaine. Il était si absorbé, même en ce moment, à poursuivre quelque mystérieuse idée, qu'il sembla ne pas me remarquer. Mais je me trompais ; comme à chaque fois que j'essayais de comprendre cette puissante intelligence.
« Il pleut. » dit-il, sans lever la tête.
« Vous êtes sorti ? » dis-je aussitôt.
« Non, mais je vois que votre parapluie est mouillé, et que votre manteau, que vous avez secoué en entrant, est couvert de gouttes d'eau. »
Je m'assis effaré par sa perspicacité. Après une pause il dit négligemment, comme indifférent au sujet : « En outre, j'entends la pluie contre la fenêtre. Écoutez. »
J'entendais. Je pouvais à peine en croire mes oreilles, mais on entendait le crépitement doux des gouttes sur le volet. C'était évident, on ne pouvait pas tromper cet homme !
« Avez-vous été occupé dernièrement ? » demandai-je, changeant de sujet. « Quel nouveau problème – classé par Scotland Yard comme insoluble – a occupé cet immense esprit ? »
Il recula légèrement son pied, et sembla hésiter avant de le remettre dans sa position initiale. Puis il répondit d'un air las : « Rien que des bagatelles ; rien qui vaille la peine d'en parler. Le Prince Kapoli est venu ici pour me demander conseil au sujet de la disparition de certains rubis du Kremlin, le Rajah de Pootibad, après avoir en vain fait décapiter toute sa garde du corps, a été obligé de recourir à mon aide pour retrouver une épée inscrutée de pierreries. La Grande Duchesse de Pretzel-Brauntswig est désireuse de découvrir où était son époux dans la nuit du 14 février, et la nuit dernière /raquo; – il baissa légèrement la voix – « un locataire dans cette même maison, me croisant dans les escaliers, voulait savoir 'Pourquoi ils ne répondent pas quand il sonne'. »
Je ne pus m'empêcher de sourire ; jusqu'à ce que je visse un froncement de sourcils apparaître sur son visage insondable.
« Je vous prie de vous rappeller, » dit-il froidement, « que c'est par des questions apparamment aussi triviales que j'ai découvert 'Pourquoi Paul Ferroll assassina sa Femme,' et 'Ce qu'il était arrivé à Jones !' »
Je restai muet d'un coup. Il fit une pause pendant un moment, et puis soudain retournant à son style implacable, analytique, il dit : « Quand je dis que ce sont des bagatelles, ce le sont en comparaison d'une affaire qui se présente maintenant à moi. Un crime a été commis, et, assez singulièrement, contre moi-même. Vous sursautez, » dit-il « vous vous demandez qui aurait osé le tenter ! C'est aussi ce que j'ai fait, cependant, il a été commis. J'ai été cambriolé ! »
« Vous cambriolé ; vous, Hemlock Jones, la Terreur des concussionnaires ! » hoquetais-je de stupéfaction, poussant et serrant la table alors que je lui faisais face.
« Oui, écoutez. Je ne le confesserais à personne d'autre. Mais vous qui avez suivi ma carrière, qui connaissez mes méthodes ; oui, vous pour qui j'ai partiellement tiré le voile qui cache mes plans pour l'humanité ordinaire, vous, qui avez depuis des années reçu mes confidences avec délectation, admiré passionnément mes inductions et mes déductions, vous êtes mis à mon entière disposition et selon mes requêtes, vous êtes prosterné à mes pieds, abandonnant votre clientèle sauf ces quelques patients peu rémunérateurs et en diminution rapide auxquels, dans des moments de distraction à cause de mes problèmes, vous avez administré de la strychnine au lieu de quinine et de l'arsenic au lieu de sels d'Epsom, vous, qui avez sacrifié tout et tout le monde pour moi - je fais de vous mon confident ! »
Je me levai et l'étreignis chaleureusement, mais il était déjà tellement plongé dans ses pensées qu'au même moment il mit machinalement sa main sur sa chaîne de montre comme pour consulter l'heure. « Asseyez-vous, » dit-il « vous prendrez un cigare ? »
« J'ai cessé de fumer le cigare, » dis-je.
« Pourquoi ? » demanda-t-il.
J'hésitai, et peut-être rougis. J'avais vraiment cessé parce que, avec ma clientèle en diminution, c'était trop cher. Je pouvais seulement m'offrir la pipe. « Je préfère une pipe, » dis-je en souriant. « Mais parlez-moi de ce vol. Qu'avez-vous perdu ? »
Il se leva, et se plantant devant la cheminée avec ses mains sous les basques de sa redingote, baissa les yeux sur moi en réfléchissant un moment. « Vous souvenez-vous du coffret à cigares offert à moi par l'ambassadeur de Turquie pour avoir découvert le favori disparu du Grand Vizir comme étant la cinquième fille du choeur du Théâtre Hilarity ? C'était celui-ci. Il était incrusté de diamants. Je veux dire le coffret à cigares. »
« Et le plus gros avait été remplacé par une imitation en verre, » dis-je.
« Ah », dit-il avec un sourire songeur, « vous êtes au courant ? »
« Vous me l'avez dit vous-même. Je m'en souviens car je le considère comme une preuve de votre extraordinaire intuition. Mais, sapristi, vous ne voulez pas dire que vous l'avez perdu ? »
Il resta silencieux un instant. « Non, il a été volé, c'est vrai, mais je le trouverai. Et par moi-même, seul ! Dans votre profession, mon cher ami, quand un de ses membres est sévèrement malade, il ne fait pas de prescription pour lui-même ; mais il fait appel à un confrère docteur. En cela nous différons. Je prendrai cette affaire en mains. »
« Et qui pourriez-vous trouver de mieux ? » dis-je avec enthousiasme. « Je dirais que le coffret à cigares peut déjà être considéré comme retrouvé. »
« Je vous rappellerai ce propos, » dit-il doucement. « Et maintenant, pour vous prouver ma confiance dans votre jugement, malgré ma détermination à poursuivre cette affaire seul, je veux entendre toutes vos suggestions. »
Il tira un calepin de sa poche, et, avec un sourire grave, leva son crayon.
Je pouvais à peine en croire ma raison. Lui, le grand Hemlock Jones ! acceptant des suggestions d'un humble individu tel que moi ! J'embrassai sa main avec révérence, et commençai d'un ton joyeux :
« Premièrement je ferais de la publicité, offrirais une récompense. Je passerais la même information par des prospectus, distribués dans les pubs et les pâtisseries. Je visiterais ensuite les différents prêteurs sur gage, je signalerais le fait au poste de police, je controlerais les domestiques, je ferais des recherches approfondies dans la maison et dans mes propres poches. C'est relatif je veux dire,» ajoutai-je avec un sourire, « bien sûr je veux dire dans les vôtres de poches. »
Il prit note gravement de ces détails.
« Peut-être, » ajoutai-je « avez vous déjà fait cela ? »
« Peut-être, » me renvoya-t-il énigmatiquement en réponse. « Maintenant, mon cher ami, » continua-t-il, mettant le calepin dans sa poche, et haussant le ton : « Voulez-vous m'excuser pour un moment ? Faites entièrement comme chez vous jusqu'à ce que je revienne, il y a sans doute des choses, » ajouta-t-il en balayant de la main ses étagères hétérogènement remplies, « qui peuvent vous intéresser, et faire passer le temps. Il y a des pipes et du tabac dans ce coin et du whisky sur la table. » et me faisant un signe de tête avec le même visage insondable, il quitta la pièce. J'étais trop bien accoutumé à ses méthodes pour beaucoup penser à sa sortie sans cérémonie, et ne doutai pas un instant qu'il était sorti pour enquêter sur quelque indice qui avait soudainement surgi à son intelligence en éveil.
Laissé à moi-même, je jetai un coup d'oeil superficiel sur ses étagères. Il y avait quantité de petits pots en verre, contenant des matériaux terreux étiquetés « Balayures de routes et de pavés, » des principales artères et faubourgs de Londres, avec en dessous l'indication « Pour identifier les traces de chaussures ». Il y avait plusieurs autres pots étiquetés « Rembourrage de sièges d'omnibus et de tramways », « Fibre de coco et brins de cordes de revêtements de lieux publics », « Bouts de cigarettes et extrémités d'allumettes provenant du sol du Théâtre Palace, Rangée A, 1 à 50 ». Partout des preuves de la méthode et de la perspicacité de cet homme merveilleux.
J'étais occupé à ça quand j'entendis le léger craquement d'une porte, et je levai les yeux au moment où un étranger entra. Il avait l'allure d'un homme rude, avec un pardessus miteux, un cache-nez en encore plus mauvais état autour du cou, et une casquette sur la tête. Particulièrement agacé par son intrusion je me tournai vers lui assez brusquement, quand, marmonnant, grognant des excuses pour s'être trompé de pièce, il sortit en traînant des pieds et ferma la porte. Je le suivis rapidement sur le palier et le vis qui disparaissait en bas des escaliers.
Avec mon esprit complètement occupé par le vol, l'incident fit une bizarre impression sur moi. Connaissant l'habitude des départs précipités de mon ami dans ses moments de profonde inspiration, il était plus que probable qu'avec son puissant intellect et son magnifique génie intuitif concentrés sur un sujet, il devait être négligent quant à ses propres biens, et, sans aucun doute, oubliait même de prendre la précaution commune de verrouiller ses commodes. J'en testai une ou deux et découvrit que j'étais dans le vrai – bien que pour quelque raison je fus dans l'impossibilité d'en ouvrir une complètement. Les poignées des tiroirs étaient poisseuses, comme si quelqu'un les avait ouverts avec des doigts sales. Connaissant la propreté méticuleuse de Hemlock, je me résolus à l'aviser de ce fait, mais je l'oubliai, hélas ! jusqu'à – mais j'anticipe mon récit.
Son absence se prolongeait étrangement. Je m'assis finalement devant la cheminée, et bercé par la chaleur et le crépitement de la pluie sur la fenêtre, je m'endormis. Je dus rêver, car durant mon sommeil j'eus la vague conscience de mains tâtant doucement mes poches – sans doute provoquée par l'histoire du vol. Quand je recouvris complètement mes esprits, je trouvai Hemlock Jones assis de l'autre côté du foyer, son regard profondément concentré sur le feu.
« Je vous ai trouvé si confortablement endormi que je n'ai pu me résoudre à vous réveiller, » dit-il avec un sourire.
Je me frottai les yeux. « Et quoi de nouveau ? » demandai-je. « Comment ça s'est passé ? »
« Mieux que je ne l'espérais, » dit-il, « et je crois, » ajouta-t-il en tapotant son calepin « que je vous dois beaucoup. »
Profondément heureux, j'attendais plus. Mais en vain. J'aurais du me rappeller que dans ses manifestations d'humeur, Hemlock Jones restait réservé. Je lui parlai simplement de l'étrange intrusion, mais il sourit seulement.
Plus tard, quand je me levais pour partir, il me regarda espiègle. « Si vous étiez un homme marié, » dit-il, « je vous conseillerais de ne pas rentrer chez vous avant d'avoir brossé votre manche. Il y a quelques poils de fourrure marrons, courts, sur le côté intérieur de l'avant-bras... Juste où ils auraient adhéré si votre bras avait entouré avec quelque force un manteau de cette matière ! »
« Pour une fois vous vous trompez, » dis-je triomphalement, « les cheveux sont des miens comme vous vous en rendrez compte ; je viens de faire une coupe chez le coiffeur, et sans aucun doute ce bras n'était pas sous le tablier. »
Il fronça légèrement les sourcils, et cependant, alors que je me tournais pour partir il m'étreignit chaleureusement, une rare démonstration de la part de cet homme de glace. Il m'aida même avec mon pardessus et sorti et lissa les rabats de mes poches. Il fut attentif aussi en glissant mon bras dans la manche de mon manteau, secouant la manche de l'emmanchure jusqu'au poignet avec ses doigts habiles. « Revenez bientôt ! » dit-il, me donnant une tape sur le dos.
« N'importe quand et à tout moment, » dis-je avec enthousiasme. « Je demande seulement dix minutes deux fois par jour pour manger une croûte à mon bureau et quatre heures la nuit pour dormir, et le reste de mon temps vous est toujours dévoué... comme vous savez. »
« Il l'est, en effet, » dit-il avec son sourire impénétrable.
Cependant je ne le trouvai pas chez lui quand je l'appelais par la suite. Une après-midi, en approchant de chez moi je le rencontrai dans un de ses déguisements favoris ; un long manteau bleu à queue de pie, un pantalon rayé en coton, un grand col roulé, le visage noirci et un chapeau blanc, portant un tambourin. Bien sûr vis à vis des autres le déguisement était parfait, bien qu'il fut connu de moi, et je passai à côté de lui – en accord avec une vieille entente entre nous – sans le moindre signe de reconnaissance, confiant en une explication ultérieure. Une autre fois, alors que je rendais une visite professionnelle à la femme d'un patron de pub de l'East End, je le vis sous le déguisement d'un ouvrier maladif regardant par la fenêtre d'une boutique de prêt sur gages voisine. J'étais enchanté de voir qu'à l'évidence il suivait mes suggestions, et dans ma joie je m'aventurai à lui faire un clin d'oeil ; il me fut retourné distraitement.
Deux jours plus tard je reçus une note me fixant rendez-vous à ses appartements cette nuit. Cette rencontre, hélas ! fut le moment le plus mémorable de ma vie, et la dernière rencontre que j'eus avec Hemlock Jones ! Je tâcherai de la relater calmement, bien que mon coeur palpite toujours au souvenir de celle-ci.
Je le trouvai se tenant debout devant la cheminée avec ce regard sur son visage que je lui avais vu seulement une ou deux fois lors de nos relations – un regard que je peux qualifier d'absolu enchaînement de ratiocinations inductives et déductives – dans lequel tout ce qui était humain, tendre, ou sympathique était absolument évacué. Il n'était plus qu'un symbole algébrique glacial ! De fait tout son être était concentré à ce point que ses vêtements semblaient trop larges, et sa tête était à ce point réduite en dimension par sa tension mentale que son chapeau tombait en arrière de son front et reposait sur ses oreilles massives.
Après que je fus entré, il verrouilla la porte, ferma les fenêtres, et même plaça une chaise devant la cheminée. Alors que j'observais ces précautions de taille avec un intérêt absorbé, il sortit subitement un révolver et le pointant vers ma tempe, dit d'un ton bas, glacial :
« Remettez-moi ce coffret à cigares ! »
Même dans mon ahurissement, ma réponse fut honnête, spontanée, et sans calcul. « Je ne l'ai pas pris, » dis-je.
Il sourit amèrement, et jeta son révolver. « J'attendais cette réponse ! Aussi laissez-moi vous confronter avec quelque chose de plus terrible, plus meurtrier, plus implacable et convainquant que l'arme la plus létale : les preuves inductives et déductives les plus accablantes de votre culpabilité ! » Il tira de sa poche un rouleau de papier et un calepin.
« Mais certainement, » haletais-je, « vous êtes en train de plaisanter! Vous ne pouvez pas croire un moment que... »
« Silence ! » gronda-t-il. « Asseyez-vous ! »
J'obéis.
« Vous vous êtes condamné vous-même, » poursuivit-il impitoyablement. « Condamné vous-même suivant mes procédés ; procédés qui vous sont familiers, applaudis par vous, approuvés par vous depuis des années ! Nous retournerons au moment ou vous vîtes pour la première fois le coffret à cigares. Vos remarques, » dit-il sur un ton délibérément froid, consultant son papier, « furent : 'Quelle beauté ! Je voudrais qu'il soit mien.' Ce fut votre premier pas dans le crime – et mon premier indice. De 'Je voudrais qu'il soit mien' à 'Je l'aurai à moi', et la simple formulation 'Comment puis-je faire qu'il soit mien', la progression était évidente. Silence ! Mais selon mes travaux, il était nécessaire qu'il y ait une irrésistible incitation au crime, votre admiration malsaine pour le simple bibelot n'était pas en soi suffisante. Vous êtes un fumeur de cigares. »
« Mais, » éclatai-je fougueusement, «Je vous ai dit que j'ai cessé de fumer le cigare. »
« Idiot ! » dit-il froidement, « c'est la seconde occasion où vous vous êtes condamné vous-même. Bien sur que vous me l'avez dit ! Quoi de plus naturel de votre part que de claironner cette déclaration préparée et non sollicitée, pour prévenir une accusation. Pourtant, comme je l'ai dit, cette tentative malheureuse pour couvrir vos desseins n'était pas suffisante. Il me fallait encore découvrir cet irrésistible et impérieux motif nécessaire pour affecter un homme tel que vous. Ce motif je l'ai trouvé dans la passion, la plus forte de toutes les impulsions, l'amour comme je suppose que vous l'appeleriez, » ajouta-t-il amèrement, « cette nuit rappelez-vous ! Vous en aviez apporté les damnées preuves dans vos manches. »
« Mais, » hurlai-je presque.
« Silence, » tonna-t-il, « Je sais ce que vous voulez dire. Vous voulez dire que même si vous avez serré dans vos bras quelque jeune personne avec une veste de fourrure, qu'est-ce que cela a à voir avec le vol. Laissez-moi vous dire alors, que la veste de fourrure représente la nature et le personnage de votre implication fatale. Si vous êtes au fait de la littérature populaire, vous devez savoir qu'une veste de fourrure signale un amour d'une nature sordide, guidé par l'intérêt. Vous avez troqué votre honneur pour ça : ce coffret à cigares a permis l'achat de la veste de fourrure ! Sans argent, avec une clientèle déclinante, c'était le seul moyen que vous aviez pour vous assurer d'une passion réciproque par cette jeune personne, que, pour votre bien, je n'ai même pas recherchée. Silence ! Ayant minutieusement établi votre motif, j'en viens maintenant à la commission du crime lui-même. Habituellement les gens auraient commencé par ça – par tenter de découvrir où est l'objet manquant. Ce ne sont pas mes méthodes. »
Sa perspicacité était si écrasante, que bien que me sachant innocent, je gardais les lèvres fermées avec l'avidité d'écouter plus avant les détails de l'exposé limpide de mon crime.
« Vous avez commis ce vol la nuit où je vous ai montré le coffret à cigares et après que je l'ai rangé négligemment dans cette commode. Vous étiez assis sur cette chaise, et je me suis levé pour prendre quelque chose sur cette étagère. A ce moment vous vous êtes assuré de votre butin sans vous lever. Silence ! Vous rappelez-vous quand je vous ai aidé avec votre pardessus l'autre nuit ? J'étais appliqué à y passer votre bras. Ce faisant j'ai mesuré votre bras : en déroulant un mètre à ruban, de l'épaule au poignet. Plus tard une visite à votre tailleur confirma cette mesure. Elle apparut être la distance exacte entre votre chaise et cette commode ! »
Je restai abasourdi.
« Le reste ne sont que des détails corroboratifs ! Vous étiez encore en train de toucher à la commode quand je vous ai surpris. Ne commencez pas ! L'étranger qui est entré par erreur dans la pièce avec un cache-nez, c'était moi. Plus, j'avais mis un peu de savon sur les poignées de tiroir quand je vous ai laissé seul à dessein. Le savon était sur votre main quand je l'ai serrée quand vous êtes parti. J'ai doucement tâté vos poches quand vous étiez endormi, pour la suite des évènements. Je vous ai serré dans les bras quand vous avez pris congé, de façon à pouvoir me rendre compte si vous aviez le coffret à cigares, ou tout autre objet, caché sur vous. Ceci me confirma dans ma conviction que vous aviez déjà disposé de lui de la façon et pour le but que je vous ai démontrés. Comme je vous croyais encore capable de remords et de confession, Je vous ai permis de vous rendre compte à deux reprises que j'étais sur vos traces, une première fois dans le costume d'un musicien noir des rues, et la seconde fois comme un ouvrier en train de regarder par la fenêtre d'une boutique de prêt sur gages où vous avez mis en gage votre butin. »
« Mais, » m'écriai-je, « si vous aviez demandé au prêteur vous auriez découvert combien injuste... »
« Mensonge ! » siffla-t-il, « c'était une de vos suggestions de chercher chez les prêteurs sur gages. Croyez vous que j'ai suivi une seule de vos suggestions, les suggestions du voleur ? Au contraire, elles m'ont indiqué ce que je pouvais laisser de côté. »
« Et je suppose, » dis-je amèrement, « que vous n'avez même pas cherché dans votre commode. »
« Non », dit-il calmement.
J'étais pour la première fois vraiment vexé. J'allai au tiroir le plus proche et le tirai fermement. Il se coinça comme il l'avait fait précédemment, une partie ne pouvant sortir. Cependant, en le secouant, je découvris qu'il était empêché par une sorte d'obstacle qui avait glissé au-dessus du tiroir, et je le tins fermement. Introduisant ma main, je retirai l'objet responsable du blocage. C'était le coffret à cigares disparu. Je me tournai vers lui avec un cri de joie.
Mais je fus consterné par son expression. Un air de mépris s'ajoutait maintenant à son regard aigu et pénétrant. « Je me suis trompé, » dit-il lentement. « Je n'avais pas pris en compte votre faiblesse et votre lâcheté. J'avais une trop haute opinion de vous même dans votre culpabilité, mais je me rends compte maintenant pourquoi vous étiez en train de vous affairer avec ce tiroir l'autre nuit. Par quelque incroyable moyen – peut-être un autre vol – vous avez récupéré le coffret à cigares chez le prêteur sur gages, et comme un chien déchaîné me l'avez retourné de cette façon débile et gauche. Vous pensiez me tromper moi, Hemlock Jones ; plus, vous pensiez détruire mon infaillibilité. Allez ! Je vous rends votre liberté. Je ne ferai pas appel au trois policiers qui attendent dans la pièce voisine ; mais hors de ma vue pour toujours. »
Alors que je me tenais debout, une fois de plus hébété et pétrifié, il me prit fermement par l'oreille et me conduisit dans le hall, fermant la porte derrière moi. Il réouvrit à ce moment suffisamment pour pouvoir jeter dehors mon chapeau, mon pardessus, parapluie et guêtres, puis ferma devant moi pour toujours !
Je ne l'ai jamais revu. Je me bornerai à ajouter que, cependant, par la suite mon activité professionnelle se développa – je récupérai la plupart de mon ancienne clientèle – et quelques un de mes patients récupérèrent aussi. Je devins riche. J'avais une voiture à cheval et une maison dans le West End. Mais je me demande souvent, réfléchissant à la merveilleuse perspicacité et intuition de cette homme, si, dans quelque moment d'égarement de ma conscience, je n'avais pas réellement volé ce coffret à cigares.
FIN
© ef - La Lecture Universelle